Stéphane a grandi dans un placard.
D'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours fui les êtres humains.
Le placard du logement familial a été son premier refuge.
Il s'y enfermait pour échapper tant aux disputes familiales qu'à la visite.
Il s'y était créé un monde bien à lui avec ses blocs de Lego.
Il n'était pas tout à fait asocial. Il lui arrivait de jouer avec des amis. Mais il finissait vite par se lasser et se cherchait un lieu où il serait seul. Ce fut d'abord le placard bourré de laine d'amiante. Puis ce fut le petit hangar de tôle où l'on rangeait les pelles et les bicyclettes. Enfin, il y avait la cave en dernier recours. Une cave en terre battue qui servait aussi de caveau à patates.
Ça ne s'améliora pas pour Stéphane en vieillissant.
Les amis qui venaient cogner à sa porte pour le prier de venir jouer avec lui se faisait souvent dire qu'il préférait demeurer à la maison. Stéphane venait de découvrir les livres, un autre placard où il pouvait s'enfermer.
Il lui arrivait de se sentir coupable de ne pas socialiser plus qu'il ne le fallait. Il prenait son courage à deux mains une fois par semaine pour se fondre à un groupe de jeunes marginaux plutôt rejetés et solitaires comme lui. Pour affronter la meute des gens, il avait appris à boire. Plus il était saoul, plus il sortait de son placard intérieur. Il se mettait même à rire et à devenir agréable.
Cela ne durait jamais longtemps. Au bout de trois ou quatre heures, Stéphane s'enfuyait sans dire un mot. Il marchait saoul et seul dans les rues de la ville.
Lorsqu'il eut dix-huit ans, ça devint encore pire.
Stéphane s'enfermait encore plus souvent tout en sachant que ce n'est pas ainsi qu'il allait se trouver une princesse.
Il y eut bien une princesse qui l'invita chez-lui. Mais il ne sut pas quoi faire avec. Il lui parla de Nietzsche, de Karl Marx et de Miles Davis. Elle ne comprenait rien à tout ça. Elle comprit qu'il était rongé par la timidité et elle le laissa aller.
Stéphane s'en sentit d'autant plus malheureux qu'elle se moqua de lui auprès des autres camarades de classe.
Stéphane se sentait tout aussi incapable de se trouver un boulot décent. Il avait toujours l'air gauche et maladroit lorsqu'il était sobre. Il ne parlait pas lors des entrevues d'embauche: il marmonnait.
Tout lui semblait sans espoir. Il allait crever tout seul dans son placard.
Stéphane crut un temps qu'il était malade mental, autiste ou Asperger ou agoraphobe ou tout ça à la fois.
Il comprenait qu'il était différent des autres.
Cette différence était un poids qui commençait à l'entraîner vers le fond.
Il serait mort s'il n'avait pas découvert quelque chose d'encore plus fort que l'alcool.
Il fit donc usage de drogues dans l'espoir d'aller par-delà la porte de son placard.
Et ça marcha. Stéphane passa du stade de la chenille à celui du papillon.
Il se mit à socialiser avec toutes sortes de défoncés. Il montait sur des scènes, dans les bars, pour chanter des chansons et réciter des poèmes. On l'applaudissait, lui qui n'avait jamais aimé les foules.
Et il se mit même à baiser et à aimer en plus de planer comme jamais.
Les atterrissages furent parfois brutaux. Mais Stéphane n'avait plus l'intention de retrouver son placard. Il mit ses affaires dans un sac à dos, par un beau matin d'hiver, et partit à l'aventure, loin de chez-lui.
Bien qu'il ne connaissait personne, tout le monde lui souriait. Tout le monde le trouvait gentil, humain, sympathique et même adorable. On le réclamait pour des partys légendaires. On le voulait même au lit. Stéphane s'était complètement métamorphosé.
La jeunesse passa. Stéphane eut la sagesse de ralentir le rythme de ses saouleries.
Il finit, comme tout un chacun, à se construire un nid.
Il trouva une femme charmante avec qui partager sa vie.
Une femme qui avait elle aussi vécue toute seule, loin de tous les groupes.
À eux deux, ils recréaient un monde où ils pourraient s'aimer en paix.
Ce nid allait remplacer leur placard.
Ils n'auraient plus besoin que d'amour et d'eau fraîche.
Le monde était encore tel qu'il avait toujours été.
Ils s'y sentaient souvent exclus, mal à l'aise ou de trop.
Pourtant, ensemble, ils comprenaient que le monde ne se limitait pas qu'à Pierre, Jean, Jacques comme on dit.
La vie pouvait être belle.
La vie pouvait être vécue au grand air.
La vie avec un autre être humain était possible...
C 'est ça la vraie vie ! Souhaits de belle vie à Stéphane et à sa femme !
RépondreEffacer@Monde indien: C'est pas plus compliqué que ça. Et pourtant on ne compte pas ceux qui continueront de s'enfoncer vers le fond parce qu'ils n'auront jamais quitté l'état de la larve ou de la chrysalide. Ils ne sont pas pires ou meilleurs que d'autres. Y'en a qui, malheureusement, n'ont pas de chance. Stéphane en avait en réserve pour plus tard.
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