William Langevin concentrait l’essentiel de son temps de
travail à camoufler son incompétence et sa procrastination. D’abord, il savait
à peine lire et écrire. Ses courriels et ses notes de service étaient toujours
extraordinairement courts. Ce petit gros croyait, à tort, qu’il réussirait de
cette manière à dissimuler ses fautes d’orthographe ainsi que sa syntaxe
déficiente. Pourtant, tout le monde à l’interne s’arrachait ses courriels et
ses notes en se demandant comment il en était arrivé à devenir ministre des
animaux domestiques et des plantes vertes.
Dans le même ordre d’idées, William Langevin parlait très
peu. Il bégayait beaucoup en plus de zozoter. Par contre, c’était le meilleur
pour organiser une soirée de contributeurs du parti grâce à ses fameux bars à
spaghettis. Ces soupers-bénéfices avaient l’heur d’attirer le gratin de la
société et les gratinés du parti.
-Ça prend juste trois ou quatre sauces, des pâtes pis des
réchauds. Ça prend une sauce aux tomates, une sauce à la viande, une sauce Alfredo
pis une sauce aux trois fromages… Tu leu’ sers ça avec du vin en carton, de la
liqueur ou du jus de raisins pis tout le monde est aux anges… Ça coûte pas
cher, des spagouttis et pis d’la sauce… Surtout si t’as l’épicerie de ton bord…
Pis ça tombe bien, l’épicerie appartient à mon père… Ça fait que c’est pas trop
compliqué… Qui c’est qui connaît ça, hein? C’est bibi. Oui monsieur.
Langevin, l’air de rien, avait réussi à récolter près de 175 000$
pour le parti. Ce qui lui permettait d’espérer obtenir un siège au conseil des
ministres. Un siège que le Premier Ministre avait créé spécialement pour lui en
inventant de toutes pièces le Ministère des animaux domestiques et des plantes
vertes.
-Faut donner un os à Langevin si l’on veut garder sa région
dans notre giron, avait déclaré le Premier Ministre Louis-Philippe Trouillard.
Langevin est p’t’être pas le plus brillant mais i’ nous rapporte gros… Faut
dire aussi que y’a pas trop de cent watts dans sa région… Sont tous un peu
abrutis… Sauf qu’i’ votent pour nous autres. Pis ça, ça mérite une place au
conseil des ministres… Que diriez-vous
de créer un nouveau ministère, hum? Y’a ma nièce qui pourrait devenir son
attachée politique… On dirait à Langevin de se déguiser en plante verte pis de
laisser le ministère rouler tout seul… Ma nièce a une maîtrise en
communications… Ça lui laisserait du temps pour organiser d’autres
soupers-bénéfices pour le parti… Tout le monde serait gagnant, même Langevin.
Pas pire, hein?
***
Quelques députés avaient maugréé, dont Ferdinand Mauron, un
gars qui avait fait son cours classique et qui lisait presque le grec et le
latin. On lui avait fait comprendre qu’il y avait déjà trois ministres dans sa
région et que son tour viendrait un jour ou l’autre mais pas tout de suite.
-Faut que tu penses à l’intérêt du parti, Mauron. Faut que l’parti
passe avant la personne, comprends-tu?
-J’sais bien… Mais Langevin… Fuck! I’ sait même pas écrire
son nom en lettres attachées… J’veux bien croire qu’il est avantageux pour les
finances du parti… Mais vous ne trouvez pas qu’on risque d’avoir l’air fou en
donnant un ministère à c’te mongol-là?
-Voyons Mauron! Tu n’peux pas parler d’même de Langevin… Pis
tu l’sais bien… La famille Langevin possède la moitié des épiceries du comté,
des blocs à logement, deux clubs de golf, une marina, un aéroport, et coetera…
Toé t’as quoi Mauron? T’as juste été commissaire scolaire pis conseiller
municipal à date… parce que l’parti t’as soutenu… Rapporte d’l’argent au parti
pis tu d’viendras ministre… Tu n’peux pas avoir le beurre pis l’argent du
beurre…
-Je l’sais bien… Je l’sais bien…
***
« J’aie l’honeure
de vous dirent que le preaugramme de destribucion de plante gratisses orra
lieue en faim de semaine et que les plante serrons gratisses mais faite vitte
parse queue les cantités de plente limité elles sontaient. An temp que menistre
de ma persone je dit a toute le monde mersi de m’encourajé à hètre menistre… »
Langevin était épuisé. Ça lui avait pris deux heures pour
écrire ce message.
-J’ai tellement de d’job que j’va’s finir en dépression du
nerveux! Caline de bines, el’ monde sait pas c’est quoi être menistre! se
plaignait-il à Geneviève Trouillard, la nièce du Premier Ministre qui aurait la
tâche de corriger ce petit mot qui devait paraître dans l’Hebdo Régional.
-Mouin, qu’elle lui avait répondu. J’vais retravailler un
peu votre lettre… Pis j’vais la signer à votre place, comme d’habitude… Des
signatures en lettres détachées ça s’fait pas vraiment… C’est… c’est plus
vraiment à la mode… Hum…
-Fait c’que tu veux, Geneviève, j’ai entièrement conscience en toé… Moé j’veux qu’ça sèye
l’air professionnel pis toutte… I’ va y t’avoir du monde important pour la
distribution des plantes vertes… L’évêque Monseigneur Lapêche va t’y être… Pis
le ministre conservateur du comté, Denis Lapelle… Ej’ veux pas t’y avoir l’air
d’un pas professionnel pis toutte… Comme ej’ dis tout l’temps au staff, faut t’y
être professionnel avec de la rigorosité! Si l’monde sont pas rigoureusement on
va t’y avoir l’air de quoi au parti pis aux États-Unis, hein? Non, non… Moé chu
t’un gars qui pense qu’i’ faut écrire en lettres attachées quand c’est l’bon
timing pis toutte… En tout cas, moé j’me comprends… Pas vrai? I’ faut d’l’austérité!
-Oui m’sieur Langevin, avait répliqué Geneviève Trouillard
en affichant une certaine moue de dédain et de scepticisme.
***
La distribution de plantes vertes gratuites connût un vif
succès. L’Hebdo Régional faisait toujours en sorte de publier des articles où
tout ce que faisaient Langevin et ses sbires soit nimbé de réussite. La famille
Langevin était le principal acheteur de publicité de l’Hebdo Régional. Tous les
journalistes devaient se le tenir pour dit, malgré le non-dit.
-On ne touche jamais à la famille Langevin… On ne critique
pas les projets de Langevin… On doit toujours présenter les opposants au
ministre Langevin comme étant seuls, isolés et sur le bord de rentrer à l’asile…
Les Langevin font vivre l’Hebdo Régional et toute la région… Si vous voulez
garder votre job, fermez vos gueules si vous ne savez pas graisser les Langevin…
***
Denis Belhumeur, seul opposant connu à Langevin dans la
région ne se présentera pas contre lui aux prochaines élections. On pense que
Langevin devrait être élu à l’unanimité, sans qu’il n’y ait d’élections. À
moins que l’on ne présente un candidat marxiste-léniniste, mais même ceux-là
semblent se désister tellement Langevin est appelé à diriger le comté pour
encore des siècles et des siècles.
Denis Belhumeur, un professeur de français incidemment, en a
assez de gueuler dans le désert.
On prétend qu’il veut aller vivre ailleurs. Eh bien qu’il y
aille!
Le comté n’a pas besoin de ce genre de trouble-fêtes.
Grâce à Langevin, tout va pour le mieux dans le meilleur des
mondes.
Les plantes vertes sont vertes.
Et les blocs de béton sont vraiment faits de béton.
Quoi demander de plus?
On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
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