El Cabochon était le surnom employé par tous les employés du département des loisirs de la ville de Saint-Isidore pour désigner Gaston Brault. Il devait sa nomination de chef du département au fait d'avoir rendu service au maire de Saint-Isidore, Louis Gamache. Gamache était un analphabète fonctionnel, tout comme Gaston Brault, et il se disait nullement impressionné par les diplômes et les diplômés même s'il n'aurait pas su nommer trois pays d'Afrique et encore moins vous dire où ce continent se trouvait sur le globe.
-El' monde qui ont des diplômes connaissent rien... se gaussait le maire de Saint-Isidore. I' faut t'les runner à coups d'pieds au cul parce qu'i' pensent 'ien qu'en fonctionnaires! Awèye produit mon hostie! que j'leu' dis... Pis Gaston Brault connaît el' tabac. I' va t'leu' montrer à travailler au lieu d'déplier des trombones toute la journée!
Gaston Brault ne lisait jamais, sinon les nouvelles du sport dans le journal. Et encore qu'il ne faisait que parcourir les gros titres. Le département des loisirs s'occupait, entre autres, de gérer la bibliothèque municipale. La première action de Brault fût de couper dans le budget alloué à la bibliothèque.
-Des livres, y'en a à 'a librairie! J'en lis-tu des livres moé? Non. Fa' que qu'i' mangent d'la marde les hosties d'intellectuels pis les schtroumphs à lunettes! Rien à crisser d'leu' livres... Ej' me torche avec, disait-il aux employés de son département. Moé, ej' veux des patinoires, du hockey pis encore du hockey... C'est d'même qu'on va r'gagner nos élections dans quatre ans... Des élections, ça s'gagne pas avec des bibliothèques pis d'autres z'affaires de même! El' monde y vont au colisée calice! Y'a juste des tapettes à 'a bibliothèque... pardon... des gays comme qu'i' disent... disait-il en se faisant aller les poignets comme une fillette.
Évidemment, Brault considérait tous les employés du département comme étant de purs incompétents alors que lui-même était incapable d'écrire une phrase sans fautes et encore moins de produire un budget pour tel ou tel projet. Il était zéro en lettres, en chiffres et en informatique. Il dirigeait au pif et gueulait aux employés de faire ce que demandaient les hosties de niaiseux de tel ou tel ministère, des fonctionnaires évidemment, qui l'empêchaient de faire ce qu'il veut de l'argent mis à sa disposition.
-Une ville, ça s'développe pas a'ec d'la démocratie pis d'la démocratie... Ça prend d'la décision... Si on peut pu rien décider c'est à cause des Greenpeace pis des hosties d'crottés qui sortent d'l'univarsité avec la tête grosse comme une boule de bowling! M'as t'leu' z'en faire d'la démocratie pis des référendums de marde! El' monde nous ont élus c'est nous autres les boss...
El Cabochon ne félicitait jamais les employés placés sous sa supervision de gros hostie de cave illettré. Ils lui étaient redevables de tout et il leur trouvait toutes sortes de défauts pour amoindrir leurs talents et leurs compétences, histoire de les rabaisser vers le plus bas dénominateur commun: lui-même...
Untel qui avait une maîtrise en comptabilité était perçu comme un minable célibataire qui n'avait pas de succès auprès des femmes. Tel autre qui détenait un baccalauréat en communications n'était qu'un gars qui venait travailler en autobus de la ville parce qu'il n'avait pas de char. Et il en allait ainsi pour tous les autres employés: tous des connards, tous des bons à rien.
Évidemment, la ville entière et peut-être la province au complet étaient bâtis selon ce modèle d'affaires.
La seule manière qu'il y avait de se défouler, dans un monde où les compétences n'étaient pas reconnues, c'était de donner des surnoms à ces rustres auxquels l'on accordait les plus hautes positions par cet étrange renversement des idées et des valeurs qui régnait partout.
El Cabochon méritait bien son surnom. El Troudcul allait tout aussi bien pour désigner le maire de Saint-Isidore.
-I just want to immigrate... avait coutume de dire celui ou celle qui sait lire, écrire et compter dans cette colonie de merde.
Le niveau des cabochons a monté aujourd'hui: ils ont maintenant des maîtrises. Bien sûr, les nouveaux cabochons côtoient les anciens cabochons, qui sont encore là, mais ce sont des cabochons pareils, instruits, tous clignant de l’œil dans le club sélect des cabochons instruits. Les études ne changent rien. Les gens continuent d'être retors, malhonnêtes, malveillants, rapaces, comploteurs, petits en dedans, intéressés, opportunistes et mesquins.
RépondreEffacer@Julius Nonna Frans: Ça dépend du milieu. Pour mon court récit, qui n'a rien à voir avec des personnes ayant réellement vécues, je me suis laissé inspirer par... hum... par rien. Rien du tout. J'ai seulement rêvé quelques chose qui n'arrive et n'arrivera jamais... ;)
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