Je termine la lecture de La Garde blanche. C'est un roman de mon auteur préféré, celui qui a écrit le chef d'oeuvre romanesque Le Maître et Marguerite, il s'agit de nul autre que Mikhaïl Boulgakov bien entendu.
On retrouve chez Boulgakov toutes les grandes qualités du roman russe classique, auxquelles s'ajoute une atmosphère féerique comme celle qui a fait le succès des Tchaïkovski, Prokofiev et Stravinski, pour ne nommer que ceux-là. C'est qu'on entend de la musique en lisant Boulgakov. On entend la musique de la grande comme de la petite Russie.
Il y a aussi une pointe de cynisme. Une pointe de futurisme à la Maïakovski qui aurait fait un trip mystique. Boulgakov, en fait, est inclassable. C'est ce qui le rend d'autant plus universel et imbattable dans l'univers de la littérature russe.
La Garde blanche raconte, en gros, les derniers jours des partisans de l'Ancien Régime tsariste. L'action se passe en décembre 1919. Les deux frères Tourbine combattent pour la Garde blanche dans Kiev, la capitale de l'Ukraine. L'Armée Verte de Simon Petlioura s'apprête à conquérir la ville. Kiev s'écroule tout comme Berlin s'est écroulé en 1945. Il ne reste plus qu'une poignée d'étudiants et de bourgeois tsaristes pour défendre la cité de la révolte populaire.
On comprend rapidement que l'époque ne tourne plus pour les partisans de la monarchie. Les quelques gradés en poste pestent contre tous les politiciens et hauts gradés qui ont fui le pays pour les laisser à eux-mêmes. Ils ne savent plus quel est leur devoir dans cette situation chaotique. Doivent-ils obéir aux ordres de l'autorité en fuite ou bien se protéger du massacre annoncé par l'avancée des partisans de Petlioura?
Au fil de l'histoire, le sentiment qui prévaut est le sauve qui peut. La Garde blanche se disloque avant même que l'ennemi n'investisse Kiev. Les gradés déchirent leurs épaulettes, jettent leurs médailles et leur passeport pour progressivement se déguiser en civils afin de ne pas être égorgés par les socialistes ukrainiens. Tout est fini. Les frères Tourbines savent que ce n'est plus le temps de jouer aux héros. Ils sont tous en fuite, les salauds de l'Ancien Régime, et pourquoi devraient-ils se faire égorger pour eux? Eux aussi doivent prendre la fuite.
Boulgakov a tiré une pièce de théâtre pour ce roman qui n'a pas trouvé d'éditeur en Russie dans les années '20. Les journées des Tourbine a connu un relatif succès théâtral à Moscou. Joseph Staline a souvent vu la pièce. Il savait que Boulgakov était un écrivain douteux. Mais il voyait sans doute dans le récit de l'anéantissement de la Garde blanche et de l'ancienne aristocratie quelque chose comme une motivation à poursuivre son oeuvre.
Boulgakov n'a presque plus rien publié sous Staline. La Garde blanche n'est jamais paru en entier. La censure soviétique a mis fin à sa publication. Toutes les portes des maisons d'édition se sont fermées. C'est à peine s'il a pu produire quelques pièces de théâtre ou petits textes pour des publications officielles, comme l'Horaire des chemins de fer...
L'époque ne tournait pas plus pour les Tourbine que pour les Boulgakov. Et il devient clair rapidement que Tourbine et Boulgakov c'est tout un.
Boulgakov a continué à s'habiller en dandy et à fumer avec un porte-cigarette sous le régime communiste.
Il s'est plaint à Staline de ne plus pouvoir vivre de sa plume, ce qui lui importait plus que tout au monde.
D'autres que Boulgakov auraient été directement conduits au goulag pour cette outrecuidance. Curieusement, Boulgakov fût épargné. Comme si Staline le nouveau tsar avait besoin d'un fou pour lui rappeler qu'il était un tyran.
La Garde blanche n'a pas suscité le même intérêt que celui que j'ai eu pour Le Maître et Marguerite, un roman que j'ai dévoré en un clin d'oeil. J'ai dû me reprendre par trois fois avant que de saisir où je m'en allais avec La Garde blanche. Je manquais sans doute de renseignements sur cette époque. Je ne connaissais rien de Simon Petlioura et des Armées Vertes, sinon l'anarchiste Nestor Makhno.
L'Ukraine est revenue sur le devant de la scène internationale ces derniers mois. Je constate qu'il me manquait beaucoup de lumière historique sur tout ce qui se trame là-bas. Les tragédies des années '20 semblent s'y répéter. Tous les Anciens Régimes se combattent l'un l'autre. On ne sait rien de ce qui sortira de cette fournaise ukrainienne.
La Garde blanche n'est certes pas une source d'explications. C'est le roman de la fin d'une époque.
La Garde blanche nous rappelle que lorsque le Vieux Monde s'écroulera, les premiers à prendre la fuite seront les salauds de libéraux, de conservateurs et autres donneurs de leçons. La soldatesque aux ordres de ces pourritures sera abandonnée à elle-même. Elle se fera égorgée tandis que les généraux, les amiraux et les politiciens prendront la fuite.
Voilà.
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