La nostalgie est difficile à concevoir à vingt ans. À cet âge, tout scribouilleur ne sait parler que de lui-même. L'Autre n'est encore qu'un figurant. Cela explique pourquoi je me suis débarrassé de la grande majorité de mes écrits de jeunesse. Qui aurait pu s'intéresser à mes atermoiements à propos de tel ou tel aspect de ma vie plus qu'ordinaire à cette époque? D'autres tiendraient pour du génie ces rinçures de jeunesse, tout simplement parce qu'ils n'ont plus jamais eu d'imagination après leur sortie de l'école. Ils s'accrochent à toutes les bêtises qu'ils ont écrit et n'écrivent plus rien. La source s'est tarie pour ces tarés. Ils ne font que sortir du vieux pour prétendre qu'ils étaient neufs.
J'écoute la radio en ce moment. Le 90,5 de la bande FM diffuse de vieux succès des années '60 et '70. C'est le genre de chansons que l'on entend en se promenant dans un marché aux puces: Adamo, Christophe, Dylan, les Classels, Johnny Farago, Diane Dufresne...
Cela me rend nostalgique parce que je n'ai plus vingt ans. J'en ai quarante-sept. Je suis à trois ans de la cinquantaine. D'une année à l'autre, les souvenirs s'accumulent. Chaque exercice d'écriture me confronte bien plus à ces Autres que j'avais oubliés en chemin qu'il ne me rapproche de mon moi que je trouve haïssable, à l'instar de Blaise Pascal.
Un écrivain qui n'écrit que sur lui-même ne va généralement nulle part. À moins qu'il ne s'appelle Henry Miller ou Charles Bukowski. Cependant, on trouve mille minables qui tentent de les imiter pour un qui peut presque nous conférer l'illusion d'y réussir. La littérature écrite au je est la plus difficile à rendre intéressante. Mon vieux prof de philosophie et d'esthétique ne s'y trompait pas.
-Que produisent-ils, sinon que des plaquettes? Senancour, Novalis, je veux bien, Mais ces petits je vides qui veulent faire passer leurs crottes de nez pour du génie? Pfff!
Cela explique pourquoi ce bon homme m'avait balancé mon manuscrit sans intérêt. Un manuscrit où j'enfilais des niaiseries du genre Davy Crockett, croquette de veau, vaudeville, Ville-Marie, marijuana... On aurait pu publier ça sans son aide. Et je m'en serais voulu toute ma vie d'être l'auteur de cette misérable plaquette.
***
La nostalgie est un réservoir inépuisable de contes et fabliaux.
Il ne me suffit que de regarder le temps qui s'est écoulé derrière mon épaule pour trouver mille milliards de sujets de conversations.
Aujourd'hui, alors que j'écoute "Il a dit oui avec la tête, elle a dit non avec le coeur", des tas de souvenirs bizarres émergent dans ma machine à inventer des récits.
Pourquoi Wézo Tellier revient-il me hanter un samedi à 6h53 du matin?
Wézo Tellier n'a rien à voir avec les refrains diffusés par la station de radio de Bécancour.
De plus, je ne sais pas comment aborder ce récit. Je m'emmêle dans une critique de l'égotisme, dans la nostalgie et des propos plus ou moins didactiques.
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Il faudra bien un jour que je sache vous servir un diamant brut bien taillé, sans toute cette gangue qui l'empêche de briller.
J'aurais dû commencer cette histoire simplement, en me contenant de relater ce que je sais de Wézo Tellier.
Wézo Tellier, pour dire vrai, était un hostie de trou du cul.
C'était un ivrogne qui ressemblait vaguement au Capitaine Haddock qui aurait reçu un coup de pelle sur le dos. Wézo Tellier marchait toujours plus ou moins recroquevillé en plus de zigzaguer sous l'effet de l'alcool.
Mes amis ainsi que moi-même avions plus ou moins peur de lui compte tenu de toutes les rumeurs qui circulaient à son sujet.
On disait de Wézo Tellier qu'il attachait son vieux père sur une chaise pour aller boire sa pension de vieillesse.
On disait aussi de lui qu'il avait tué sa blonde, lui avait fait l'amour alors qu'elle était morte, puis qu'on l'avait plus ou moins libéré faute de preuves.
Chaque fois que je voyais Wézo Tellier, j'avais un mouvement de recul.
Je me préparais à l'assommer avec une roche, une chaise ou bien tout autre objet trouvé sur mon chemin.
Plus tard, alors que je travaillais dans un supermarché, je surprenais souvent Wézo Tellier en train de voler. Et je ne disais rien. Ce n'était pas mon supermarché. Je me foutais pas mal qu'il vole celui qui nous traitait comme si nous étions tous à son service (ce qui était pourtant le cas...).
Wézo Tellier pouvait donc voler de la viande, de la bière ou des raisins en toute impunité, tant que c'était moi qui se trouvait près de lui.
Je n'avais plus peur de lui. Je le regardais comme une pauvre merde atterrie dans mon quartier. Une pauvre merde que l'on ne pousse même pas du pied. Un excrément qui peut bien attacher son père et tuer sa blonde avec de l'alcool frelaté. On ne peut pas tout changer dans ce monde pourri. Et Wézo Tellier était le pourri des pourris, toujours plus replié sur lui-même, avec un bras dans le plâtre, des béquilles et autres décorations rappelant les personnages de la Cour des Miracles.
Est-il mort Wézo Tellier? Sans doute. Il était déjà vieux quand j'étais jeune. Et pas mal magané par-dessus le marché.
Il ne me reste de lui que ce pâle souvenir. Peu de chair autour de l'os pour cette hostie de vieille canaille.
Pourtant, il tourne dans ma tête comme un petit hamster dans la roue qui décore sa cage.
Sont-ce ces chansons du 90,5 FM qui m'obligent à me rappeler de Wézo Tellier?
Dur à dire...
Comme on dit par chez-nous: excusez-la!
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