mercredi 28 janvier 2015

À propos du poisson pourri et des livres sacrés


“Je m'entête affreusement à adorer la liberté libre.»
Arthur Rimbaud, Lettre à Georges Izambard (1870)

Il est inconcevable de croire que tout l'univers puisse être condensé dans un livre écrit par des primates qui se reproduisent sur un grain de poussière tournant autour d'une étoile banale comme notre soleil.

Pourtant, des milliards d'êtres humains organisent leur vie en se référant à des phrases alambiquées inscrites dans des bréviaires où la sagesse côtoie l'imbécillité la plus réductrice.

Et cela vaut même pour les marxistes et autres pseudo-scientifiques qui prétendent qu'Untel n'est pas un vrai marxiste pour un problème d'interprétation du livre sacré.

Aussi peu que je sache, Dieu n'est pas tant une réponse qu'une question. La vie est mystérieuse et ses questions sont abyssales. Cela ne veut pas dire qu'il faille nécessairement écraser son cul sur le bord de la route et s'y laisser crever comme un chien en attendant la mort. Quoique rien ne laisse prétendre que cette solution ne soit pas meilleure que les autres tout compte fait. Il est possible que de se laisser crever soit moins dommageable pour tous. Moins dangereux pour la communauté que de vivre en découpant les autres en rondelles pour justifier la sagesse du livre sacré dont on suit les niais préceptes à la lettre.

Je reviens souvent sur Diogène de Sinope pour analyser un tant soit peu les comportements de mes frères et soeurs humains que la plupart du temps je ne comprends pas.

Diogène de Sinope vivait à la même époque que Platon et s'est inscrit dans nos mémoires comme le philosophe qui couchait dans un tonneau comme un sans-abri.

On le tenait pour un sage, pour un Socrate devenu fou à vrai dire, qui se permettait de dire tout ce qui lui passait par la tête, sans retenue.

Je m'en voudrais de le faire passer pour mon guide en toute chose. Loin de moi l'idée de remplacer les livres sacrés par ce sacré Diogène. Néanmoins, il me faut vous répéter une anecdote ayant trait à sa vie de philosophe fou  afin de vous livrer l'intuition que j'ai de cette «liberté libre» dont parlait, entre autres, le poète Rimbaud dans sa correspondance avec son professeur Georges Izambard.

Diogène était tenu pour un sage par cette faculté qu'il avait de bousculer les idées reçues.

Un jour, un type vient le voir pour lui demander de lui prodiguer son enseignement.

-J'aimerais devenir votre disciple. Enseignez-moi votre sagesse, qu'il lui demande.

Diogène acquiesce à contrecoeur. Il lui montre d'abord un vieux poisson pourri et lui recommande de se l'accrocher dans le dos et de le suivre.

Le disciple s'accroche donc le poisson pourri dans le dos et le suit partout sous le soleil de plomb d'Athènes.

L'odeur qui exhale du poisson pourri est tout simplement écoeurante.  Une heure, deux heures puis huit heures passent à suivre Diogène avec ce poisson pourri dans le dos. Diogène ne lui adresse même pas la parole. Au bout de la journée, le disciple n'en peut plus et décide tout bonnement de s'en aller.

-Que fais-tu là? s'étonne Diogène.

-Je m'en vais! Je vous suis depuis ce matin avec ce poisson pourri dans le dos et jamais vous ne m'avez adressé la parole ni enseigné quoi que ce soit! J'en ai assez de ce poisson pourri! Je vous le redonne et je m'en vais!

-Minute garçon! réplique Diogène. Tu prétends que je ne t'ai rien appris aujourd'hui? Au contraire, je t'ai tout enseigné... Ce matin, tu étais prêt à me suivre n'importe où avec un poisson pourri dans le dos et, maintenant que tu te refuses à le porter, ne vois-tu pas que je t'ai appris à devenir ton propre maître?

***

Des tas de gens autour de nous portent un poisson pourri dans le dos, sous la forme de tel ou tel livre sacré, de telle ou telle doctrine.

Être maître de soi-même n'est pas nécessairement une bonne position sociale. Diogène allait seul et couchait dans un tonneau comme un sans-abri...

Qui veut de cette «liberté libre» du poète ou du philosophe? Qui voudrait de la solitude?

Qui ne préfère pas porter son poisson pourri dans le dos plutôt que d'être libre comme un chien qui se laisse crever sur le bord de la route?

Je n'ai pas de réponse à cela et je sais que je n'en trouverai pas dans les livres sacrés, les traités marxistes ou bien dans les récits rapportés sur Diogène de Sinope.

***

-Qu'est-ce que la vérité? demanda Ponce Pilate à Jésus, alias le Fils de Dieu.

Jésus ne trouva rien à répondre.

J'ai pourtant lu Le Maître et Marguerite de Mikhaïl Boulgakov, un des romans les plus fascinants que j'aie lu au cours de ma vie, un roman où Ponce Pilate et Jésus semblent se disputer avec le diable qui se déguise en chat bipède qui porte un chapeau haut-de-forme.

Il ne m'est resté que des questions après avoir lu ce livre.

Des questions plus brillantes que toutes les réponses qu'on a tenté de m'inculquer au cours de mon existence.

Comme quoi la littérature, aussi fausse soit-elle, me semble plus près de l'infini que tous ces faux discours qui voudraient nous faire accroire qu'il est du devoir de tout homme de porter un poisson pourri dans le dos.

1 commentaire:


  1. Athées :
    http://bab007-babelouest.blogspot.fr/2015/01/le-jour-du-saigneur-et-autres-fortes.html

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