Mon père n'avait pas de char. Pas plus que la plupart de nos voisins dans la paroisse Notre-Dame-des-Sept-Allégresses à Trois-Rivières. En fait, je crois bien qu'il y avait un char par deux blocs appartements. Les ruelles étaient plus aérées qu'aujourd'hui, si l'on fait abstraction des terrains vagues qui ont fait suite aux incendies des taudis. Les gens circulaient majoritairement à pieds ou à vélos dans mon quartier pour la simple et bonne raison que tout le monde était pauvre ou bien superstitieux face au crédit.
Mes parents n'auraient jamais voulu emprunter pour acheter un char. Ça allait à l'encontre de leurs valeurs.
De plus, je soupçonne mon père de ne s'y être jamais intéressé. S'il était comme moi, ça ne me fout rien de ne pas conduire un char. D'abord parce que je déteste les chars. Et ensuite parce que j'ai un trouble de vision à haute vitesse. Mon focus ne se fait pas au bon moment. Ça me fait un effet kaléidoscopique et j'en attrape le vertige. Cela n'en nourrit que mieux mon aversion envers les chars, c'est-à-dire les automobiles.
Les Autochtones connaissaient la roue mais refusaient d'en faire usage pour avancer sur la Terre Sacrée. Une bonne partie de leur spiritualité reposait sur l'idée de participer au Grand Cercle de la Vie. Il n'en fallait pas plus pour que des prophéties surgissent selon lesquelles le monde serait détruit sous des roues qui ne respecteraient pas la Terre Sacrée.
Évidemment, vous ne devez pas prendre tout ça au pied de la lettre. Je ne suis ni devin, ni chamane.
Je ne suis qu'un piéton ou un cycliste de plus en plus perdu dans un océan de chars.
Il y en a partout, des chars et, ça, ce n'est pas une prophétie.
C'est une réalité.
L'autre jour, j'emprunte à vélo la piste cyclable du Pont Duplessis. Je suis en compagnie de mon amoureuse. La circulation est congestionnée. Il fait 34 Celsius. C'est caniculaire avec l'humidité. Combien de vélos sur le pont? Peut-être trois ou quatre. Avec un piéton. Et combien de chars? Je n'en sais rien. Des centaines. De Trois-Rivières jusqu'au Cap-de-la-Madeleine. Et vous savez quoi? Ça m'a rendu triste...
Idem pour les stationnements. De grands espaces déserts surchauffés pour accueillir des chars. Pas d'arbres. Rien que de l'asphalte à 60 Celsius. Et des humains qui s'essoufflent à marcher sous cette chaleur imbécile de chars...
Bien sûr, on a un char. Enfin, ma blonde l'a. Et c'est elle qui le chauffe. J'imagine que j'en profite. Mais ça ne me fait pas aimer les chars pour autant.
Je les perçois toujours comme une menace à la vie sur Terre quoi qu'en disent les prophéties.
Tabarnak! Il fait 49 Celsius avec le facteur humidex et on se pavane encore en char comme si c'était l'hiver! Et, du coup, tout le monde étouffe et requiert sa ration d'air en conserve dans cette Amérique que Henry Miller percevait comme un «cauchemar climatisé».
Je ne peux m'empêcher de penser que l'être humain est stupide, en plus d'être cupide, et que rien ne sera fait pour stopper le désastre déjà évident de notre civilisation.
Cela va continuer de mal en pis. À moins que je ne me trompe. Et je serais heureux de me tromper...
Il y aura encore plus de chars. Plus de pipelines. Plus de politiciens corrompus.
On foutra les gens sous terre et on leur mettra la télé et des divertissements virtuels.
À la surface il fera 60 Celsius. Ce sera un enfer permanent. Mais on y roulera en char, évidemment. On aura un troisième puis un quatrième lien vers Lévis. Les animateurs des radios-poubelles seront débarrassés à jamais des cyclistes et des piétons.
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