Ce gars-là était plutôt un mauvais gars qui avait appris à bien se raser et à sentir un peu moins la sueur au fil des années. Il avait investi dans toutes sortes de combines et s'était constitué un petit magot à force d'économiser sur le bénéfice de ses larcins. Les tempes grisonnantes, le dentier un peu trop large pour sa bouche, ce gars-là, eh bien il s'appelait Raymond Mondoux. Mais tout le monde l'appelait Ray. Ou Momon. Ou jamais.
Raymond Mondoux voulait sauver Le Monde.
Le Monde avait fermé ses portes depuis le mois de décembre. Le printemps arrivait. Monmon s'était dit qu'il y avait encore du profit à tirer de ce restaurant.
Il acheta donc Le Monde, fit des rénovations, et le rouvrit sous la même enseigne avec le même menu légèrement amélioré. Tous les menus seraient pré-congelés. Il n'y aurait plus de cuisinier. Seulement des types qui dégèlent des menus au micro-ondes et tentent de faire passer ça pour de la fine cuisine à 5,99$ l'assiette.
Les employés furent bien sûr traités comme de la marde. On ne sauve pas Le Monde sans faire de sacrifices. Et ce sont les esclaves qui en subirent les frais. Ils accomplissaient dorénavant l'ouvrage de trois personnes. Et Ray avait établi un véritable régime de terreur, faisant tout en son possible pour contourner les Normes du Travail et crier après ses serviteurs.
Ce qui devait arriver arriva. Ray fût identifié comme étant un étron sur deux pattes qui traite mal son staff sur les réseaux sociaux. Les projecteurs étaient braqués sur cette nouvelle vedette du capitalisme sauvage.
Le Monde ne fût pas sauvé. Enfin, pas cette fois-là.
Les affaires de Raymond Mondoux périclitèrent.
Il dut fermer Le Monde.
Les années passèrent.
Le local qui abritait Le Monde était désert, comme tous les autres locaux commerciaux autour.
Le monde ne sortait plus au centre-ville.
En fait, le monde ne sortait plus du tout.
Le monde restait à la maison en se préparant des pizzas surgelés pour souper.
Puis, un jour, il y eut comme des réunions d'alcooliques anonymes qui se tenaient dans le local vide de l'ancien restaurant Le Monde.
D'une réunion à l'autre, il y avait pas mal de monde. Et cela devint une maison de thérapie.
On y soigne tous les éclopés du centre-ville. Et il y en a beaucoup. Et tout autant de locaux vides, à vendre ou à louer.
Comme quoi Le Monde sert encore à quelque chose...
Et Raymond Mondoux? Je ne sais pas. Tout le monde se contrefout de ce qu'est devenu Raymond Mondoux. Sauf moi qui suis un peu trop sensible.