mardi 30 janvier 2018

L'histoire amorale d'un crotté qui s'appelait Moéno Sicotte

Des histoires étranges courraient autour de cette raclure de fond de chiotte qui avait pour nom Moéno Sicotte. Moéno comme dans moineau. Et Sicotte comme dans Sicotte. Et non pas comme dans la guitare à douze cordes à cinq cordes à Sinotte... Vous me suivez encore? Non? Parfait. Je n'aime pas avoir trop d'attention.

Et de toute manière je ne vais pas parler de moi. Vous en savez déjà trop. Alors que vous ne savez rien encore de Moéno Sicotte. Ni moi d'ailleurs. Qu'en sais-je sinon des ragots colportés au fil des âges? Et pourquoi je vous en parle? Parce que. On ne devient pas Isaac Babel en ne racontant pas Odessa. 

Au-delà d'Odessa et de tout ça, on peut dire que ça remonte à plusieurs hivers. Ce qui ne me rajeunit pas. Et ce qui pardonne ma nostalgie d'aspirant vieux croûton à l'aube de sa cinquantaine.

Moéno Sicotte était un drôle d'oiseau. Un oiseau de mauvais augure. Un rapace. 

Il se saoulait la gueule du matin au soir et du soir au matin. 

Son métier était celui de voleur. Il volait tout ce qu'il pouvait. Tout le monde savait que c'était Moéno Sicotte mais personne n'avait jamais de preuve. Bien sûr que ce n'était pas toujours lui. Des fois c'était un autre. Mais les voleurs aussi se partagent des territoires. Et celui de Moéno Sicotte se situait dans le rayon du dépanneur, de la Commission des liqueurs et de la taverne Adam & Ève.

Il buvait en sacrament et avait l'air d'un trou du cul comme de raison. Mais ce n'était pas ça qui faisait autant chicoter le voisinage que le fait qu'il attachait son vieux père après sa chaise pour aller boire son chèque de pension. Seule une ordure peut faire un truc semblable. Et Moéno Sicotte, évidemment, en était une.

Tout jeune, j'avais appris à changer de trottoir lorsque je le croisais.

Ce n'était pas une attitude très chrétienne. Mais c'était sans doute la meilleure solution compte tenu des vices et perversions sordides de Moéno Sicotte.

On n'allait pas jusqu'à dire qu'il mangeait des bébés, mais c'était tout juste.

Il faut dire qu'il avait le physique de ce mauvais rôle.

La barbe et les cheveux hérissés, le brandy nose et les pantalons beurrés de marde, parce qu'il s'était chié dessus, on ne peut pas dire que Moéno Sicotte suscitait la sympathie de quiconque. Il ne payait jamais son loyer, évidemment, se faisait crisser dehors de partout et finissait toujours par attacher son vieux père pour boire son chèque de pension. Ce vieux père qui criait «Détache-moé Moéno pour l'amour du Bonyeu!» Et Moéno qui lui disait de farmer sa yeule «parce qu'i' allait 'i crisser yin qu'une garnotte dans l'front pour l'fai' dormir.» Difficile d'imiter le ton et l'accent gouailleur de Moéno. Disons simplement que c'était un sale type.

La dernière fois que je l'ai vu, Moéno sortait encore de prison.

Il s'était trouvé un logement minable dans la P'tite Pologne, à l'ombre de l'usine de textile Wabasso.

Le logement en question avait été investi par plusieurs chars de police quelques semaines plus tard.

Moéno avait foutu le feu dans un bloc appartement adjacent et il aurait été surpris dans le sous-sol de son logement en train de baiser une morte, sa blonde, qui était vraiment morte.

L'avait-il tuée ou était-elle morte naturellement? Je n'en sais rien. Comment la police a pu le surprendre en train de baiser une morte? J'avais 8 ans... Et je n'avais pas et n'aurai jamais l'envie de baiser une morte. Ce que je sais c'est qu'on se disait ça entre nous. Ils doivent tous s'en souvenir, mes vieux chums de la P'tite Pologne, de Notre-Dame et de Sainte-Cécile. Autrement c'est qu'ils étaient aveugles. Ou bien qu'ils devraient se mettre aux sudokus pour faire travailler la mémoire.

Tout ça pour vous dire que, dans mon imaginaire, il n'y a pas pire ogre que Moéno Sicotte.

Bien sûr, l'histoire me révélera bien d'autres noms de personnes tout aussi répugnantes.

Par contre, c'est toujours un peu abstrait. 

Tandis que Moéno Sicotte, je l'ai vu.

Je sais que des sales types comme lui ça peut exister.

Même si je doute, tout compte, fait, qu'il ait vraiment baisé une morte.

Les crottés, c'est comme ça, on leur mettrait tout sur le dos.



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