Statue de Diogène de Sinope, philosophe cynique |
J'avais d'abord étudié un an à la faculté de droit de l'Université Laval. J'avais dû quitter mes études parce que je ne pouvais pas me les payer. Et aussi parce que je préférais lire des romans pendant mes cours de droit. Je me suis trouvé un poste de préposé aux bénéficiaires au Centre hospitalier de l'Université Laval. J'ai passé deux ans à cette «école de la vie». J'ai travaillé sur tous les départements, sur tous les quarts de de travail. Puis je me suis inscrit en philo à l'UQTR parce que j'attendais une réponse pour Sciences Politiques à l'UQAM. Une réponse qui ne vint pas, allez savoir pourquoi. C'est vrai que je m'étais inscrit au début août...
En philo, je me la coulais douce. Le droit était beaucoup plus exigeant. En philo, on me demandait de rédiger des comptes-rendus de lecture. Ce que je faisais les deux doigts dans le nez, à la dernière minute, sur ma vieille dactylo. Une caisse de bière n'était jamais très loin. J'obtenais des scores de haut niveau. Je réussissais sans étudier parce que j'avais une bonne maîtrise du français.
Tout ce que j'aimais de mes études en philo c'était surtout de posséder une carte de bibliothèque de plus. Je pouvais emprunter jusqu'à sept livres. Wow! Je me suis donc mis à lire des romans pendant mes cours de philo. J'écoutais toujours d'une oreille distraite. En phénoménologie, je n'avais qu'à lire le Que sais-je? des Presses universitaires de France et j'aurais une longueur d'avance sur tout le groupe si j'y comprenais quelque chose. En marxisme, je n'avais qu'à me rappeler mon année de militantisme au sein d'un groupuscule trotskiste québécois. Pour l'humanisme, eh bien j'en donnais plus qu'on ne m'en demandait. Je partais sur de grandes envolées lyriques. Je faisais bien plus de la littérature que de la philo, mais bon, si la philo doit être triste, ça ne vaut pas la peine...
J'aimais aussi me saouler la gueule avec les étudiants les plus marginaux de la vénérable université.
Il y avait trois courants en philo.
L'humanisme, le marxisme et la logique.
J'étais gagné à l'humanisme et me dissociais autant du marxisme que de la logique.
C'était en 1989. Le mur de Berlin venait de tomber. Des étudiants défiaient des chars d'assaut sur la place Tien An Men.
Les idoles et les idéologies s'effondraient.
Les fascismes rouges, noirs ou bruns avaient leur logique.
Je prenais progressivement le parti du Docteur Jivago: plus d'art, plus de poésie, plus de musique, plus de curiosité intellectuelle.
Nous étions vaguement punks, néo-hippies, alcooliques, anarchiques et contestataires, jeunes, insouciants, buveurs de vin rouge, fumeurs d'herbes, etc.
Je faisais partie de l'Association des étudiants de philo. Nous avions un local que nous habitions presque 20 heures par jour. C'était devenu notre havre de plaisirs artificiels dans ce monde superficiel. Nous nous prenions pour des poètes maudits, des artistes ou bien des trous du cul.
Toute la faune bigarrée des pochtrons du centre-ville passaient par ce local de philo qui était devenu un haut-lieu d'expériences psychédéliques sur le campus. On s'y sentait comme chez-soi. Et on y fomentait toutes sortes de coups d'éclats, dont la publication d'un petit journal déjanté: Erratum.
Il arrivait aussi que nous pétions une bulle. Comme la fois que nous nous sommes mis à inonder le département de philosophie de tracts où nous nous gaussions de la logique et de la philosophie analytique. Je me souviens seulement des titres: La logique pue... 2+2=5... Conférence en philo analytique: un verre d'eau vous sera servi... On produisait jusqu'à 5 tracts par jour. Il y avait de n'importe quoi. Dont des poèmes de feu Viviers, alias Urbain Pesant, une armoire à glace de 400 lbs qui avait joué pour le club de football Les Diablos. C'était malade.
Ce fut notre chant du cygne. Tout s'est terminé quelques mois plus tard. Chacun a suivi sa voie.
On m'avait dit que le droit menait à n'importe quoi.
La philosophie aussi.
J'ai obtenu mon baccalauréat en philo en 1992. Je ne me suis jamais présenté à la cérémonie de la remise des diplômes. Ma mère aurait aimé ça avoir du photo de moi avec un bonnet carré sur la tête. Je ne m'en sentais pas la force. Trop de gens ne méritaient pas leur diplôme. Dont des illettrés et des incultes. J'avais le sentiment que mon diplôme ne valait rien de toute façon.
J'ai poursuivi mes études un temps à la maîtrise. Mon sujet de thèse était L'éthique du marquis de Sade pendant la Révolution française. Je partais du postulat de Baudelaire selon qui le mal qui se connaît est plus près de la guérison que le mal qui s'ignore. Je comparais Sade à Robespierre. Sade écrivait des histoires vicieuses mais militait contre la peine de mort pendant la Révolution. Robespierre vantait toutes les vertus mais tranchait des têtes.
J'ai complété une session de scolarité à la maîtrise.
Puis j'ai foutu le camp sans regarder derrière.
J'ai vécu de toutes sortes de boulot.
Ça aurait pu être pire.
J'aurais pu devenir logicien.
Ou adepte de Wittgenstein.
Heureusement que je n'ai jamais aimé m'ennuyer.
Heureusement que j'ai gardé de bons souvenirs de philo.