Les baleines valsaient sur les vagues à quelques mètres de la berge. C'était beau à voir.
J'observais le spectacle sur de gros rochers, en compagnie d'autres humains provenant de tous les horizons. J'entendais parfois de l'anglais, de l'espagnol et de l'allemand entre les conversations où le français prédominait. Quoi qu'il en soit, c'était sans importance. Nous étions tous là pour contempler les baleines bleues, les bélugas et les phoques. Nous étions des homo sapiens en train de communiquer avec l'immensité de la Création et le mystère tout aussi sans limites de ses créatures.
Ma vision de la société repose sur cette possibilité de vivre ensemble côte à côte sur une Terre qui, toujours selon les Autochtones du continent, n'appartient à personne.
Je reviens souvent à cette formule du jazzman afro-américain Sun Ra. Une formule qui cogne dans ma tête: «History is not my story.» Son histoire, à lui, ce n'est pas la mienne.
Mon histoire, tout comme la vôtre, est unique. Nous ne vivons pas pour écrire des chapitres d'un récit qu'on voudrait nous imposer de force. Nous vivons, point à la ligne. Nous sommes là, ici et maintenant, sur le même rocher, sur le même radeau, sur le même grain de poussière perdu quelque part dans une petite galaxie insignifiante.
Ma vie, puisque je ne saurais parler convenablement que de la mienne, je la vois comme s'il n'y avait pas de frontières, comme si rien n'empêchait la Terre de tourner autour du Soleil à des vitesses qui dépassent l'entendement.
Cela dit, je ressens le vide sidéral du racisme, largement alimenté au sein de notre communauté par des gens sans scrupules.
C'est là qu'intervient une forme de dimension métaphysique. Un sens élevé des valeurs humaines. Appelez ça le libéralisme, l'humanisme ou ce que vous voulez. Une certaine tendresse dans les rapports humains. Une manière de voir en chaque être humain un frère et une soeur, aussi déplaisants qu'ils puissent l'être.
Hier, au supermarché, il y avait un pauvre type petit, maigre et magané par la vie qui déposait des canettes consignées dans la broyeuse. Une dame est passée devant lui en affichant un air dédaigneux. J'imagine qu'elle n'aimait pas les bottes de skidoo du pauvre monsieur. Pas plus qu'elle n'aimait sa sale gueule édentée.
Selon moi, ce pauvre homme mérite autant de considération, sinon plus, que le pape lui-même. On ne peut que l'appeler monsieur. On ne peut que lui sourire. On ne peut pas ignorer qu'il est devant nous lorsqu'on le croise. Il faut le saluer. Lui dire au moins bonjour. Et tenir la porte pour qu'il puisse passer avec sa grosse poche de canettes vides.
Lorsqu'on sombre dans les discours politiques, on laisse facilement de côté ces égards que nous devrions tous avoir les uns envers les autres. Et c'est là que nous nous trompons, moi autant que vous-même. Rien de bon n'émergera de l'insulte. Cela ne veut pas dire qu'il faille se taire. Cela veut tout simplement dire qu'il faut, malgré tout, s'aimer un peu...
On recherche de la vie sur les exoplanètes et tout porte à croire qu'il n'y aura pas d'autres planètes pour nous que celle où nous nous trouvons.
Nous sommes tous coincés ici.
Nous sommes sur le même radeau, le même rocher, le même grain de poussière.
L'histoire humaine se terminera un jour dans l'indifférence cosmique.
Comme celle des dinosaures.
D'ici là, je ne me vois pas cultiver la mesquinerie envers mes frères et soeurs humains.
Je ne me vois pas prendre le parti de la violence et de l'intolérance pour régler nos différends.
Nous sommes tous du même sang.
Nous sommes tous des homo sapiens.
Et nous n'avons pas d'autres planètes que celle-ci.