Monsieur Câlin était tout un spécimen de craquepotte.
Il était gros, velu et chauve. La cinquantaine dépassée. Sa tête était enfoncée dans ses épaules et il ressemblait un peu à un petit bonhomme pas de cou.
À part de ça, il s'était mis en tête que le monde travaillait trop pour expliquer pourquoi il ne travaillait pas. Sa mission sur Terre, ça faisait longtemps que Monsieur Câlin l'avait trouvée. Il n'y a qu'à entendre le nom qu'il porte pour s'en faire une petite idée. Monsieur Câlin était distributeur de câlins.
Il s'était fabriqué un costume pour donner du panache à son titre. Il visait le sommet de ces caractères insolites jadis dessinés par Louis Fréchette dans Orignaux et détraqués, qui est de loin sa meilleure oeuvre.
Le costume de Monsieur Câlin était constitué d'un gros sac de poubelle vert qu'il perçait de trois trous pour y passer la tête et les bras comme s'il s'agissait d'un poncho. Ce sac de poubelle le faisait horriblement suer. Et quand il suait, Monsieur Câlin puait. Les gens se plaignaient donc aux policiers que Monsieur Câlin tentait de les étreindre et de les caresser. Ils ajoutaient aussi que Monsieur Câlin sentait la charogne. Les policiers arrêtaient Monsieur Câlin et une semaine plus tard Monsieur Câlin recommençait.
C'était une fixation. Recevoir un câlin tandis qu'il revêtait un sac à poubelle qui lui tenait lieu de poncho.
Il se fait moins souvent arrêté Monsieur Câlin.
Il a fini par comprendre qu'il ne pouvait pas se jeter sur les gens pour leur demander de l'amour alors qu'il pue comme mille putois sous son sac de plastique.
Aussi se contente-t-il de s'auto-caresser dans son coin. Il passe de longues heures à se brasser le sac à poubelle devant l'indifférence feinte des badauds qui croient que la folie ça s'attrape par la salive.
Tout le monde a fini par plus ou moins accepter Monsieur Câlin.
On le laisse se caresser pendant des heures sur le trottoir.
On le laisse imiter la poule ou la belette.
On le laisse dans son sac à vidange.