Monsieur Lebrun était plus blanc de poil qu'il n'était brun. Idem pour la peau. Il aurait dû s'appeler Monsieur Leblanc. L'ironie de la vie voulait que son nom fut Monsieur Lebrun.
Est-ce tout?
Bien sûr que non.
Monsieur Lebrun était sur son trente-et-un, si vous voyez ce que je veux dire.
Il était propre, bien peigné. Il portait un complet-cravate bleu foncé.
Les poils de ses trous de nez ne dépassaient plus ce jour-là. D'habitude ça lui sortait du pif comme un bouquet de fleurs séchées.
Oui, il était pas mal monsieur ce jour-là Monsieur Lebrun.
C'est qu'il allait prononcer un discours, Monsieur Lebrun. Un discours qu'il allait lire devant l'ensemble de l'humanité rassemblée devant lui.
-Ahem! Ahem! toussa-t-il pour s'éclaircir la voix.
La foule ne disait rien. Tout le monde était comme déjà hypnotisé par sa présence.
-Mes amis, mes chers amis...
Puis Monsieur Lebrun tomba dans un état total de prostration.
Il ne bougeait plus. Il était figé comme une vieille crotte.
Que pouvait-il bien se passer?
L'humanité quittait le solarium.
Des préposés tout vêtus de blanc les entraînaient vers la salle à dîner.
-Il faut que vous veniez dîner Monsieur Lebrun! lui dit Linda Hubert, préposée aux bénéficiaires depuis trois ans à la Résidence de la Sainte Paix.
-Ahem, toussa Monsieur Lebrun... C'est que...
-Votre discours pour l'humanité? Vous le ferez tantôt ou demain... Là, c'est le temps de manger...
-Oui, sans doute...
Monsieur Lebrun trottina derrière Linda Hubert.
Un téléroman américain traduit en parisien jouait à l'écran, dans le solarium.
Les feux de l'amour. Ou bien quelque truc du genre.
Le téléroman où il y a une fille qui dort sur un oreiller bourré de plumes.
Son nom m'échappe.