Mes vieux cours de philosophie me donnent cette prétention de renvoyer la notion de cosmopolitisme à Diogène de Sinope, un philosophe qui vivait dans une amphore située aux abords d'un dépotoir.
Diogène vécut à la même époque que Socrate, Platon et Aristote.
C'était un étranger, c'est-à-dire un métèque aux yeux des citoyens d'Athènes.
Diogène s'en moquait. Tout comme il se moquait de leurs fausses prétentions, de leurs valeurs superficielles, de leurs idoles.
Il se disait citoyen du monde. Point final.
On prétend qu'un jour Alexandre le Grand lui-même, élève d'Aristote, vint le voir pour profiter de ses enseignements et de sa sagesse.
-Que puis-je faire pour toi? lui demanda le Grand.
-Ôte-toi de mon soleil, tu me fais de l'ombre, lui répondit le pouilleux qui vivait dans un vieux pot.
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Ce qui étonne chez Diogène c'est cette majesté qu'il projette même devant les Grands tout en étant le roi des vagabonds.
Un jour il est fait esclave au cours d'une quelconque guerre.
-Que sais-tu faire? lui demanda le vendeur du marché.
-Diriger des hommes, répondit l'esclave Diogène.
Puis il pointa l'homme qui lui semblait le plus riche dans la salle.
-Vendez-moi à lui. Il a besoin d'un maître...
Le maître en question était effectivement l'homme le plus riche de l'assemblée. Il acheta Diogène.
Diogène devint l'enseignant des deux fils de l'homme riche.
Au bout de son enseignement, ils s'enfuirent avec Diogène et menèrent avec lui une vie de vagabonds errant librement d'un dépotoir à l'autre.
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La notion de cosmopolitisme renvoie à la Grèce ancienne pour une raison purement terminologique. Cosmo, polis, isme... tout ça renvoie au grec.
Cela dit, les Autochtones, quatorze mille ans plus tôt, disait que la Terre n'appartenait à personne. Ils n'avaient certes pas la notion de «citoyen du monde» mais sans doute cultivaient-ils celle du respect envers la Terre et ses créatures, à moins d'une de ces folies dont l'humanité ne se lasse pas d'avoir de temps à autre pour régresser un tant soit peu.
On n'a pas retenu le nom d'un Autochtone en particulier.
Certains vous parleront de Glouscap, d'autres d'Hiawatha. Les plus politisés vous ramèneront vers Sitting Bull et Louis Riel.
Je ne saurais vous en parler plus que je ne dois moi-même encore l'apprendre...
Ce que je sais, c'est qu'avec les Grecs j'étais du côté d'un fou qui se tenait dans un dépotoir face à une société qui ressemblait tellement à la mienne que je ressentais le dégoût de Diogène.
En fréquentant un peu plus la philosophie autochtone, j'y découvre toute cette sagesse qui manquait tant aux Grecs Anciens qu'à Diogène.
Les Grecs comme les Romains plaçaient leur Âge d'Or dans le passé...
Pour eux, ils vivaient à l'Âge de Fer, le pire temps de l'humanité, une époque sombre où tout le monde trompait tout le monde, où les enfants tuaient leurs propres mères, etc.
L'Âge d'Or, c'était quand les Grecs et les Romains vivaient comme des Autochtones... Pourquoi perdrais-je mon temps avec la philosophie de l'Âge de Fer alors que celle de l'Âge d'Or est encore toute fraîche, ici-même, malgré nos tentatives d'y mettre un terme?
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Avec le temps, malgré tout le respect que je puisse avoir envers Diogène, je constate que sa voie était sans issue.
Cela ne remet pas pour autant en question l'idée de transcender l'esprit des nations pour se fondre à des notions universelles, communes à tous, et susceptibles de nous faire évoluer tous ensemble sur une Terre devenue de plus en plus étroite.
Nous vivons encore à l'Âge de Fer.
Nous cultivons encore des préjugés sociaux fondés sur rien.
Pourtant, nous vivons sur l'Île de la Tortue.
Nous occupons le territoire et l'histoire encore en cours des Autochtones.
Nous sommes, que nous le voulions ou non, idem pour eux-mêmes, des Autochtones d'adoption.
Notre mémoire est encore trop sélective et empreinte d'idées reçues.
Il n'y a pas que la Grèce.
Il n'y eut pas que Rome.
Bien sûr la France.
Bien entendu le Québec.
Mais l'Île de la Tortue, Hiawatha, Kitché Manitou, Glouscap, le Grand Cercle de la Vie?
Pas un mot. Ou presque.
J'habite ce territoire depuis des années.
Je suis même Métis de par feue ma grand-mère Adrienne, Anishnabeg reconnue par la Loi sur les Indiens.
Pourtant, des pans entiers de l'histoire de l'Île de la Tortue me sont inconnus.
Jamais on ne m'a appris à dire au moins bonjour ou merci en algonquin, à l'école.
Mais on m'a appris à dire
good morning et
thank you;
buenos dias et
muchos gracias.
J'ai grandi sur le territoire des Haudenosaunee, des Atikamekw, des Anishnabeg et des Wendate sans rien savoir d'eux, sinon qu'ils portaient des plumes.
Vous trouvez ça normal vous?
À Trois-Rivières, on ne voit qu'un seul monument rappelant la présence des Autochtones. Il s'agit d'une plaque de bronze appliquée sur le socle de la statue du supposé fondateur, le Sieur de Laviolette,
gofer de Champlain.
Les Autochtones sont à genoux devant lui, évidemment.
Et lui, eh bien il est debout, noble et fier sous sa moustache.
Vous me direz que les Autochtones se foutent des statues et vous aurez sans doute raison.
Ils ne diraient pas non à quelques totems, j'imagine.
Ça ferait vivre quelques artistes locaux.
Ça nous réconcilierait avec ce peuple qui n'occupe plus ce territoire parce que nous sommes dessus.
On passerait peut-être à autre chose un jour.
Une forme de renaissance de l'Île de la Tortue.
Une renaissance spirituelle, aussi forte et sublime qu'a pu l'être la philosophie grecque au cours des deux derniers millénaires.
Les Grecs ont perdu la guerre face aux Romains et néanmoins la Grèce a colonisé Rome.
Les Autochtones ont perdu la guerre face aux Colons. Et néanmoins l'esprit des Autochtones finira par décoloniser la colonie.
Et si vous voulez pleinement goûter cette philosophie, eh bien il faudra nécessairement commencer par au moins une nuit de canot-camping. La tente de vinyle remplacera le tipi. Les étoiles que vous verrez la nuit seront à peu près les mêmes que les Autochtones voyaient et voient encore de nos jours.
Citoyens du monde. Tout simplement Humains.
Les deux pieds nus sur la
Terre sacrée.