On le disait artiste. Et on le disait presque sincèrement artiste. Il se dégageait de ce gars-là cette sensation qu'on avait affaire à un artiste. On l'aurait dit des autres en se moquant d'eux. On le disait artiste, tout en se moquant de lui comme de tous les autres, mais il y demeurait un zeste de respect et d'émerveillement. Ce gars-là avait en somme le droit de se proclamer artiste même s'il était bien le dernier à abuser de cette épithète.
D'abord, il me faudrait vous présenter ce gars-là. On pourrait dire que c'est moi mais je suis bien trop rusé pour avoir recours à un subterfuge. Aussi, ce gars-là ce n'était pas moi. Pas du tout. N'y pensez même pas.
Ce gars-là c'était Simon Veilleux que ses vieux chums appelaient encore Sifflet Veilleux parce qu'il était né avec un bec de lièvre qui fut opéré et dissimulé sous une grosse barbe lorsqu'il atteignit la puberté. Il faut dire que Sifflet Veilleux avait une voix douce et agréable, qu'il ne sifflait nullement et que même l'histoire du bec de lièvre n'était que des racontars. Il était né sans bec de lièvre, Sifflet Veilleux. Il ne sifflait même pas. Et il avait une voix radio-canadienne capable de prononcer convenablement un moi et un toi. Il n'en employait pas moins les moé et les toé dans l'intimité, parce qu'il considérait de n'être pas toujours en représentation. Il avait le droit à ses coulisses.
Parlant de coulisses, Sifflet Veilleux était artiste-peintre, spécialisé dans l'art de la faune, des ours, des aigles et des trucs comme toutes sortes d'arbres dont personne ne connaît les noms: tilleuls, frênes, hêtres, bouleaux, érables, merisiers et autres conifères. Il peignait la nature à même la nature, comme un artiste-peintre de l'ancien temps. Il traînait son attirail dans les bois et, hop!, il peignait un ours. Des ours noirs. Les bois étaient près du dépotoir municipal. C'est là que se tiennent les ours noirs et les artistes-peintres animaliers.
Cela dit, puisqu'il faut bien le dire, Sifflet Veilleux ne se considérait pas un artiste. Il disait de lui qu'il était un travailleur. Un besogneux.
-Y'a rien qu'du travail là-d'dans.
Et c'est tout.
Pourquoi en rajouter?
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