J'aime les étrangers. D'abord parce qu'ils m'aiment bien eux aussi. Mon destin croise invariablement celui des étrangers, partout où je traîne mes pieds. Et c'est tant mieux puisque j'adore que l'on me surprenne. Connaître un étranger, c'est voyager à peu de frais. Qu'importe que tout soit vrai, soupesé et référencé. L'essentiel c'est l'étranger devant soi, avec son accent comique, ses gestes apparentés à son étrangeté, ses manières de dire c'est chaud, c'est froid, ayaye j'ai mal à la tête. Tout ce qui me porte à croire qu'il faut être con pour ne pas aimer les étrangers. Ou bien raciste.
Il y en a, des cons, et comme les fous ils sont toujours à croire qu'ils ne le sont pas.
Heureusement que je ne croise que des fous. Dont moi-même. Je suis d'une espèce de fou toute particulière. Un genre de fou heureux. Naïf et authentique, comme dans ma publicité... Un christ de fou, dit-on de moi sans méchanceté. Parce que voyez-vous, je suis devenu trop vieux. Je ne trouve plus personne pour me haïr autour de moi.
Tout le monde m'aime sacrament! Même les étrangers, imaginez-vous donc.
***
L'art a ceci de particulier qu'il englobe un si vaste univers que le dessinateur de souris, de lapins ou de petits chats peut rapidement développer le syndrome de l'imposteur.
-Suis-je vraiment un artiste avec mes souris, mes lapins et mes petits chats?
Moi, je veux bien dire pourquoi pas. Pourquoi pas des souris, des lapins et des petits chats, hein? Ça ne ferait pas de mal à une mouche. C'est joli. N'est-ce pas suffisant? Faut-il que l'artiste soit aussi encadré dans son oeuvre, avec sa démarche, ses sources d'inspiration, ses études?
Vous avez là une souris.
Et là, un lapin.
Et pourquoi pas ce petit chat?
Eh bien, moi j'ai peint une fresque remplie de gens de toutes origines qui vivent dans un décor plutôt urbain: une rue principale, une ruelle, un terrain de baseball.
C'est mon truc. Le lapin que je sors de mon chapeau d'artiste. Rien que pour vos yeux. Et pour les miens aussi, même si je dois parfois céder mes visions à un étranger soucieux de rapporter chez-lui une partie de mon modeste, naïf et authentique talent.
N'y voyez pas là une démonstration de mon narcissisme.
Je conviens que l'on est souvent mauvais juge de soi-même.
Pourtant, je n'ai pas la grosse tête. J'en suis sûr.
J'ai la certitude que la vie n'est qu'un passage.
Ce n'est pas une course, ni un défi, ni une compétition.
***
Et l'art, c'est le miroir de la vie.
Un passage.
Un morceau de musique saisi au vol.
Un oiseau qui s'envole.
Un gros nez au milieu d'une figure.
Des gros seins.
Des chauves.
Des pauvres.
Des gens qui rient pour rien.
D'autres qui mangent des hot-dogs.
D'autres qui avancent et reculent d'un pas.
***
Revenons aux étrangers.
Ce sont les premiers à vouloir me gonfler de vanité.
Imaginez-vous donc qu'ils m'appellent Monsieur L'Artiste ou Maestro long comme le bras.
Quand ils me disent ça mon visage devient pourpre de gêne.
-Mais non, voyons, je ne suis qu'un plaisantin... Arrêtez-moi ça!
Et puis, finalement, je ne dis plus rien.
Je les laisse m'appeler Monsieur L'Artiste ou Maestro.
-Si tu étais dans pays à moi, toi faire appeler toi Maestrooo! Artiste important pour nous! Vivre sans artiste est catastro-ooo-phe! de dire un étranger de Bosnie-Herzégovine en me parlant ensuite du peintre Ivan Generalic.
-Monsieur L'Artis-teuh! C'est que vous êtes vr-r-raiment un artis-teuh! C'est un don, êtr-r-e un artis-teuh! me dit un Sénégalais. Vous ser-r-riez vu comme Monsieur L'Artis-teuh au Sénégal mon cher ami. Les gens raffolent de faire de l'art naïf au Sénégal. Tout le monde est arrrtiste et r-r-rrespecte les artis-teuhs...
***
Trop de gens aiment ce que je fais.
Ça commence à m'enfler la tête.
Il y en a même qui vantent mes écrits.
Comme si je dessinais aussi des mots.
C'est trop de reconnaissance en même temps.
Que deviendra cette aura d'artiste maudit que je traîne depuis si longtemps si tout le monde se met à m'aimer en même temps, comme si j'était Monsieur L'Artiste, Maestro ou je ne sais trop quel divinité des Arts et des Lettres?
Vais-je devenir un faux-cul?
Non. Ce serait vraiment au-dessus de mes forces.
Naïf et authentique, c'est bien plus qu'une publicité.
Je suis aussi naïf et authentique que je le prétends.
Tout le monde m'aime.
Et j'aime tout le monde.
Pourquoi moi?
Hein?
Pourquoi moi?
Aucun commentaire:
Publier un commentaire