-Il est mou, mon cou, gémissait-elle sur une moue de dédain.
Était-il mou, son cou?
Angéline croyait qu'il était mou, son cou.
Mais il n'était pas mou, son cou.
Elle avait un cou normal, comme tous les autres cous.
Mais dans sa tête, son cou était mou.
Et ça ne se remarquait pas, ce cou mou.
Personne n'aurait pu dire qu'il était mou, son cou.
Il était ferme, charnu et soyeux. Mais mou? Pas du tout.
Angéline n'en démordait pas.
Elle avait le cou mou.
***
Un jour Angéline tombe sur Frèdo Frédette, de son vrai nom Jean-Frédérique Frédette, lequel la charme en lui murmurant son prénom à l'oreille: an-gééé-li-ne-euh! en détachant bien les syllabes.
Elle avait un fond de narcissisme, Angéline. Et elle aimait son prénom. C'était normal que les autres l'aime aussi et surtout le remarque. C'était normal.
Son cou n'en était pas moins mou.
Mais Frèdo Frédette lui-même, qui le vit de près, ce cou, ne le remarqua pas. Y eut-il meilleurs yeux qui puissent en témoigner à ce jour, sinon des médecins ou dentistes tenus sous le silence du secret professionnel?
Frèdo Frédette était catégorique: Angéline n'avait pas le cou mou.
***
Les années passèrent.
Angéline vivait avec Frèdo Frédette qui se faisait maintenant appeler Monsieur Jean-Frédérique Frédette pour des questions d'argent quelconque.
Angéline pensait de moins en moins à son cou mou.
Elle finit par le trouver normal, ce cou qu'elle avait cru mou.
Et même qu'il n'était pas mou, son cou.
Pas du tout.
***
Entre temps elle eut une vie plus passionnante que cette simple histoire de cou mou.
On ne saurait juger une personne qu'en ne visant qu'un point. Angéline était bien plus qu'un cou qui se croyait mou. Elle était très drôle, entre autres.
Mais bon, on n'a pas toutes ces vies à nous raconter.
Il faut bien prendre des raccourcis.
Faire de l'art là où il n'y en a pas.
Comme si ça se pouvait qu'une femme soit si dévastée par l'idée qu'elle se fait faussement sur la texture de son cou... Vous en avez entendu, vous, des histoires semblables à propos d'un cou mou?
Je n'ai pourtant pas rêvé cette histoire.
Vous savez bien que l'invention ce n'est pas mon fort.
Je ramasse tout ce qui traîne dans mes paysages sonores.
Et je transforme ça en récits.
Et l'histoire d'Angéline au cou mou c'est un peu ça.
Je l'ai entendue quelque part.
Et c'est tout.
Si je m'explique plus longtemps je ne deviendrai jamais un artiste.
Donc je termine d'écrire ici. Là. Oui. Point.
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