On croirait que ces gens vivent au-delà de ce monde, loin de nos traîtrises et de nos conventions. Ils se contentent pourtant de peu. Une canette par-ci par-là. Et parfois, ô miracle! une cruche d'eau de source consignée à 10 dollars.
Il y eut pourtant des années plus fastes que les autres pour Rémi.
Rémi est ramasseux de canettes depuis des lustres. Je le croise souvent tôt le matin, depuis au moins deux décades.
C'est un gros et grand gaillard dans la soixantaine. Il a déjà été journalier dans une usine. Il a fait une dépression après avoir perdu sa job, sa femme, ses enfants, son char et sa maison. Il est tombé sur l'aide sociale. Puis, pour joindre les deux bouts, il s'est mis à ramasser des canettes.
Rémi se trouvait ce matin près d'une poubelle de pharmacie, au centre-ville encore désert de Trois-Rivières.
Le soleil était étincelant et j'étais de fort bonne humeur.
-Salut Rémi comment ça va?
-Bof! Y'a trop d'monde qui ramasse des canettes au centre-ville. Avant c'était payant. Aujourd'hui on dirait que je repasse après vingt autres...
-Y'a de la concurrence...
-Mets-en... Bon bin j'continue ma run... Peut-être que j'va's en trouver dans les poubelles, au Parc... Y'a personne qui fait l'Parc... C'est trop loin à pédaler pis à marcher pour eux autres...
Rémi était monté sur un vélo. Il a poursuivi son chemin tandis que je déambulais dans la même direction.
Tant et si bien que j'ai revu Rémi au Parc.
Il fouillait dans les poubelles et ne trouvait rien.
-Salut Rémi? La cueillette est roffe?
-Mets-en! Tout l'monde est en vacances... La ville est vide... C'est comme si y'avait p'us d'canettes... Rien mon homme! Rien! El' marché d'la canette est roffe en tabarnak c't'année...
Vous auriez sans doute délié les cordons de votre bourse pour ce pauvre Rémi. Aussi, je ne me vanterai pas de l'avoir fait.
Nous avons poursuivi notre conversation.
-Peut-être que ce serait meilleur le ramassage de canettes à l'Île?
-À l'Île? Faut même pas y penser. C'est Normand qui est là depuis 30 ans. Même que son nom était dans Le Nouvelliste y'a pas longtemps... C'était écrit bonne fête Normand qui ramasse des canettes à l'Île depuis 30 ans...
-Ah bon? Vous avez vos territoires entre ramasseux d'canettes?
-Certain. À part le centre-ville qui est le free-for-all. On sait pas quoi est à qui. C'est premier arrivé premier servi. Mais l'Île, minute... C'est pour Normand. Pis tu sais comment on l'surnomme nous autres? El King Can... Le King Can des ramasseux d'canettes de l'Île: Normand lui-même!
-Pis el' Parc, Rémi? Y'appartient-tu à quelqu'un el' Parc pour les ramasseux d'canettes?
-Non. C'est encore en zone libre...
-Tu devrais devenir le King Can du Parc Rémi. Comme Normand qui est l'King Can de l'Île...
-Ouin pis dans trente ans j'aurais un bonne fête imprimé dans Le Nouvelliste de la part des gens du Parc! Arf! Arf! Arf!
Évidemment, Le Nouvelliste ne sera plus imprimé d'ici trente ans, voire l'année prochaine. Tout va si vite.
Aujourd'hui Rémi devait aider un ami à ramener de la viande d'un endroit où des âmes charitables t'en vendent pour 5 dollars. Du congelé. Plein de sacs. Miam.
-On va s'bourrer la panse aujourd'hui mon chum pis moé! Arf! Arf! Arf! Si l'premier peut arriver!
J'ai laissé Rémi à ses canettes et à ses affaires.
Elles sont plutôt maigres par les temps qui courent.
En dépit de la viande congelée.
Et de la menue monnaie refilée par les quidams.
***
Post-scriptum:
Rémi m'a aussi mentionné, ironiquement, qu'il ne ramasse jamais de canettes de format «king can». Elles prennent trop de place dans son sac à dos et ne sont pas payantes en fonction de l'espace et du temps qu'il alloue à son activité de ramasseur de canettes vides. Je ne savais pas comment intégrer ça dans l'histoire. D'où ce post-scriptum fort utile.
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