Dan a déjà été plein aux as. Il fut une époque où Dan roulait en Corvette flambant neuve et menait la grosse vie sale. C'était dans le tournant des années '70 et '80. Dan avait fière allure dans sa Corvette. Il travaillait fort pour s'octroyer des plaisirs.
Dan vendait de la cocaïne, du speed et autres cochonneries à tout venant et même aux revenants. Puis ce fut la chute. Dan s'est fait pincer avec tout son club de balle molle. Les policiers avaient eu la partie facile. Tous les vendeurs de ce réseau s'était offert la fantaisie d'une grande affiche sur laquelle figurait la photo de chaque membre du groupe avec son surnom. Sa photo apparaissait au-dessus de la mention Daniel Quéquette Quesnel. Ce surnom de quéquette originait de Quesnel autant que de sa Corvette, comme dans l'expression grosse Corvette, p'tite quéquette.
Quant au club de balle molle, il s'appelait Les Sanwich-O-Dinde. Pourquoi sandwiches à la dinde? Parce qu'il n'y avait pas de sandwiches à la dinde à la Rôtisserie Ti-Poulet. Les clients appelaient à cette rôtisserie pour passer leur commande en cocaïne avec service de livraison à domicile. Une sandwiche au dinde voulait dire un gramme. Trois sandwiches au dinde trois grammes. Et ainsi de suite.
Dan a été condamné à faire un séjour de deux ans moins un jour en prison. À sa sortie, il reprit les affaires qui avaient périclité entre temps avec l'arrivée de nouvelles équipes de balle molle.
Dan connut son déclin, comme toute bonne ou mauvaise chose. Il perdit sa Corvette et sa maison. Puis il se retrouva à peu près tout nu dans la rue. Il occupa un petit espace pour à peine un lit dans un logement pour chambreurs misérables du centre-ville.
Pour se saouler tous les jours, Dan Quéquette Quesnel lavait les planchers des bars environnants qui ne le payaient qu'en boisson. Il vendait aussi du pot mais il consommait plus qu'il n'en vendait et finit par se trouver entre de pas très beaux draps. Il devait plus de deux milles dollars au propriétaire du club de balle molle.
Dan se fit casser le dos et la tête et les ailes: alouette... Puis il raccrocha les gants et abandonna la partie.
Comme un malheur n'arrive jamais seul, son médecin lui apprit qu'il avait un cancer de l'intestin. Puis un cancer généralisé.
Quéquette passa de deux cent livres à quatre-vingt-trois livres. Il était devenu un squelette ambulant avec une grosse barbe. Il lui restait cependant de l'empathie. Il s'arrêtait devant tous les mendiants du centre-ville pour leur livrer un mot d'encouragement après s'être informé sur l'état de leur santé. C'était devenu sa mission sur cette terre.
***
Hier, Dan parlait avec un gars un peu plus rêveur que lui qui arbore toujours une grosse barbe blanche. Il vendait un poème qu'il avait photocopié.
Armand, comme il s'appelait, n'hésitait pas à investir un dollar de son budget pour servir la poésie. Cela représentait au moins 75% de ses actifs puisqu'il ne lui restait que vingt-cinq sous en poche. Dan l'aida à vendre ses poèmes. Comme Quéquette connaissait tout le monde, ce n'était pas sans l'aider. Beaucoup se sentaient coupables d'avoir acheté de la coke à Quéquette par le passé, dont des juges, des notaires, des avocats et des conseillers municipaux. Ils achetèrent donc ledit poème d'Armand. Un poème qui allait comme suit:
Ô belle sirène de nuit qui me délivre de l'ennui
Quand je serre mes oreillers je ne pense qu'à toi
Mais je suis seul toutes mes nuits et je m'ennuie
Et même que j'ai froid aux doigts
Viendras-tu me border belle sirène de nuit
Pour que je me désennuie?
Ce n'était pas le roi des poètes, Armand, mais au moins il offrait quelque chose aux passants au lieu de quêter sans rien faire, le summum de la paresse pour les uns et le point zéro de la déchéance pour les autres.
***
Un peu plus loin, un autre mendiant avait compris qu'il devait offrir quelque chose aux badauds pour qu'on le prenne en pitié. Bossu, maigre et sentant le vieux tabac extirpé des cendriers publics, l'homme qui avait autrefois étudié en psychologie à l'université s'était mis à chanter Le Messie de Haendel. Il chantait mal mais il y mettait autant d'émotions que de grands gestes.
-Allélouya! Allélouya! Alléééé-é-lou-yaaa! Allélouya! Allélouya-allélouya-allééé-éé-louyaa!
Dan passait par là évidemment. Il avait un dollar sur lui. Un dollar qu'Armand lui avait donné pour le remercier de son aide. Dan, qui n'avait ni faim ni soif et se sentait crever à petit feu, lui remit ce dollar.
-J'te donne une piastre pour que t'arrêtes de chanter Jacques! Tu m'casses les oreilles tabarnak!!!
Jacques lui sourit. Il souriait toujours à ceux qui lui donnaient un dollar. Puis il entonna un autre air, pour montrer à Dan qu'il avait du répertoire.
-Bon... D'abord je vais te chanter l'amour en héritage... J'aiii reu-çu l'amourrr en héritaaage-heu!!!
***
Dan constata en fouillant dans ses poches qu'il lui restait encore cinquante sous. Mais d'où pouvait bien venir ce cinquante cents? Mystère et boule de marde.
Un autre mendiant se trouva sur sa route. Celui-là ne vendait pas de poème et ne chantait pas. Il se contenait d'être assis en Indien sur le trottoir gelé. Sa casquette de baseball lui servait de réceptacle pour les aumônes. C'était un gars dans la trentaine qui avait le visage tatoué et le manteau d'hiver déchiré. On ne lui aurait pas donné le bon Dieu sans confession, si vous voyez le genre.
-M'sieur! lorsqu'il vit Dan. S'il-vous-plaît! Avez-vous pitié de moé m'sieur? J'mange pas depuis trois jours... Avez-vous pitié de moé?
-J'ai pas pitié d'toé lui répondit Dan. Mais j'vais t'donner mon dernier cinquante cents avant qu'tu commences à brailler...
-Ah bin marci bin... rétorqua le quêteux. T'aurais-tu aussi une cigarette?
-J'fume plus... J'ai l'cancer man...
-Ah bin... Bonne journée à toé. Que Dieu ait pitié d'toé!
-Laisse Dieu tranquille avec ça! Y'est assez occupé d'même ciboire!
***
Trois coins de rue plus loin, Dan perdit conscience.
Il tomba sur un banc de neige.
Les passants pensèrent qu'il était saoul et ne crurent pas essentiel de lui porter secours.
C'est vrai que les gens sont très affairés dans ce coin-là et qu'ils n'ont pas que ça à faire, ramasser les ivrognes et les drogués.
Ce qui fait que Dan Quéquette Quesnel mourut comme il avait vécu.
Un doigt dans l'oeil et l'autre dans l'cul.
Évidemment, c'est une figure de style.
Ses doigts étaient plutôt propres.
Dan était couché en position foetale sur le banc de neige, avec ses petits poings prêts de sa bouche, comme s'il cherchait à téter une dernière fois les mamelles de cette chienne de vie.
Il n'y eut personne à son enterrement.
Sinon Armand le poète et un ancien joueur de son club de balle molle.
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