Éphrem Laramée n'avait foi en rien. On se doutait bien qu'il devait croire en quelque chose, comme si son incroyance n'était qu'une façade pour se protéger des effets pervers des systèmes de pensée et des institutions. Évidemment, il ne formulait aucun discours qui puisse nous permettre d'emprunter ce raccourci.
-Je n'ai foi en rien, qu'il disait. Chacun sa route, chacun son chemin, qu'il chantonnait sur un air connu de Tonton David.
Son prénom pourrait porter à penser qu'il était très vieux. Eh bien pas du tout. Éphrem avait à peine vingt-trois ans. Il devait son prénom étrange à ses origines haïtiennes. Aussi bien le dire tout de suite, Éphrem Laramée avait la peau foncée et ne connaissait que quelques mots de créole puisqu'il était né au Québec et adopté par des parents à la peau claire originaires de Montréal, David Laramée et Flora Béliveau en l'occurrence.
Éphrem était ce qu'on appelle un bon Jack, un gars qui pouvait vous prêter sa collection de DVD et oublier qu'il vous l'avait prêtée pour ne pas vous faire porter l'odieux de ne pas la lui avoir remise au bout de deux ans. Rien ne comptait pour lui sinon sa guitare sèche, la seule chose au monde qu'il ne vous aurait jamais prêtée.
-Chacun sa route, chacun son chemin... qu'il murmurait en grattant sa guitare dont les cordes n'avaient pas été changées depuis au moins deux ans.
Il était plutôt grand, un peu costaud et avait un visage enfantin et imberbe.
Éphrem participait à toutes les manifs où il avait l'impression de ne pas être là que pour satisfaire la soif de pouvoir d'un parti ou bien d'un comité.
C'était un gars engagé mais pas un gars qu'on pouvait facilement soumettre.
Éphrem était éboueur parce qu'il détestait l'école et que c'était le seul emploi qui avait retenu ses services au bout de deux ou trois cents demandes d'emploi. C'était un bon gars, Éphrem, mais il ne faudrait pas croire que le monde est mené par de bons gars. Le seul bon gars qu'il avait trouvé dans ses recherches d'emploi c'était le gros Gervais, gérant de la compagnie Les déchets propres.
C'était un sale boulot, vous vous en doutez bien, mais Éphrem n'avait pas d'autre alternative et espérait, évidemment, devenir chanteur populaire. Il jouait dans les bars une fois par six mois et on le payait surtout en bière et en alcool frelaté.
Éphrem se contentait, pour le moment, de cette vie absurde. Il ramassait des vidanges de nuit et, de jour, il dormait ou bien grattait sa guitare.
Il ne croyait en rien, je vous l'ai déjà dit, et ce n'est pas parce qu'il était un méchant homme.
Il avait seulement compris que ce monde-ci est rempli d'ordures.
-Chacun sa route, les poubelles au chemin... chantait-il par-dessus les accords simples qui sortaient de sa guitare.
Éphrem Laramée était un christ de bon gars.
Si j'en parle au passé, ce n'est pas parce qu'il est mort.
C'est tout simplement parce que je ne l'ai jamais revu depuis que je ne vis plus à Montréal.
Cela me réconcilie avec l'humanité de penser qu'il y a du bon monde sur cette planète.
J'aurai toujours une belle pensée pour Éphrem Laramée chaque fois que je sortirai mes vidanges.
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