mercredi 16 novembre 2011

Raymond Diamond, gardien de stationnement désert

Il est des métiers dont on ne soupçonne pas le bien qu'ils peuvent procurer à ceux qui doivent les pratiquer.

Raymond Diamond, un cinquantenaire de la Mauricie, est gardien de stationnement désert.

Il n'y a jamais d'autos. Jamais. Et personne. Non. Personne.

La firme BXP le paie dix piastres de l'heure pour surveiller ce stationnement, aux confins de la ville. C'est quoi la firme BXP? Raymond Diamond travaille pour eux depuis dix ans et tout ce qu'il sait d'elle c'est qu'elle le paie tous les jeudis par dépôt bancaire informatisé.

Il n'est pas sans connaître Bob Panneton, le répartiteur de la firme BXP. Mais Bob est sous-traitant pour BXP. Et il n'en sait pas plus long que Raymond à ce sujet.

Pourquoi n'y-a-t-il jamais d'autos? Pourquoi surveiller un stationnement désert?

Raymond a cessé de se casser la tête depuis bien longtemps.

Il se contente de rentrer dans sa guérite du lundi au vendredi, de neuf heures le matin à cinq heures le soir.

Sa guérite est équipée d'un système de chauffage et de climatisation. Il a même la télé, mais Raymond préfère écouter sa propre musique. Dont les oeuvres de Chostakovitch.

Autour de sa guérite, c'est la forêt. Il y a même un lac, un point d'eau tout aussi désert que son stationnement pour y voir voler des oiseaux quand il n'y a rien d'autre à faire.

La plupart du temps, Raymond lit des grands classiques de la littérature.

Ou bien des livres d'histoire, de chimie ou de physique théorique.

Il gratte aussi sa guitare à l'occasion en regardant les oiseaux planer au-dessus du lac.

C'est un érudit à sa manière et n'emmerde personne avec ça. D'autant plus qu'il n'y a jamais personne qui vienne le voir. Même pas le gros Bob, le répartiteur sous-traitant de BXP-machin-chose, qui se contente de l'appeler une fois aux trois mois.

Oh! Bien sûr qu'il a une vie en-dehors du travail, Raymond. Il publie dans des revues qui ne le paient jamais toutes sortes de trucs compliqués, comme la morale de Saint-Augustin comparée à celle de Spartacus. Et il joue de la musique avec des amis. Et il a sa blonde, l'amour et trois chats.

Évidemment, il aime, il boit, il mange, il dort, comme tout le monde, et n'est pas nécessairement plate en-dehors de son travail.

Mais son travail qui ne sert à rien, qui le paie pour surveiller un stationnement vide, aux confins de la ville, au milieu de nulle part, eh bien Raymond ne l'échangerait pour rien au monde.

-Pourvu qu'on me paie, c'est le principal!

Et c'est tout ce qu'il trouve à redire, Raymond.

Il tourne les pages de Gibbons, un truc à propos du déclin de l'empire romain.

Il regarde les oiseaux.

Il a même installé sa chaise à l'extérieur de la guérite.

Et il travaille...

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