Par le début. Je m'appelle Père, Père Noël.
Je ne suis ni barbu ni gros ni bon ni qui que ce soit.
À vrai dire je ne m'appelle pas Père, je veux dire «Père» Noël, puisque Noël est bien mon patronyme.
C'est mon père, qui s'appelait Roger, donc Roger Noël, qui décida de m'appeler Peer. Parce qu'il aimait Peer Gynt d'Edvard Grieg... C'était un excentrique, mon père Roger. Et ma mère, pas excentrique pour deux sous, croyait que c'était beau un nom scandinave. Peer... qui veut dire poire... Poire Noël ce qui n'est guère mieux... De plus j'avais les cheveux bleus et les yeux blonds... Étouffés par le cordon ombilical à la naissance... Avec un air d'imbécile ahuri qui me colle au visage même quand j'essaie d'avoir l'air sérieux.
Je suis convaincu que mes parents n'ont jamais pensé mal faire en m'appelant ainsi.
Peer Noël...
Vous comprenez que, dès l'enfance, je sois irrévocablement devenu Père Noël dans la tête de tout un chacun. On ne me désignait que sous ce vocable aussi ridicule que mon nom inscrit dans le registre d'état civil du Québec.
Père Noël par-ci, Père Noël par-là...
Et pourtant, je suis gros comme un cure-oreille.
Je suis tellement imberbe que je n'ai pas de sourcils.
Je suis tellement chauve que je n'ai pas de barbe.
Je suis tellement maigre qu'on n'a pas besoin de me faire passer des rayons X.
Bref, je ne ressemble en rien à ce patapouf du 25 décembre.
Voilà donc ma malédiction.
D'autres, c'est de mal manger ou de ne pas manger assez.
Remarquez que je suis né dans une famille pauvre, malgré le disque d'Edvar Grieg qu'un type avait dû laissé traîner chez-nous pour une raison inconnue. On ne mangeait pas plus d'une fois par jour, le soir avant de se coucher. Le matin on partait à l'école l'estomac vide. Heureusement qu'on nous donnait du lait à l'école. Autrement je serais mort.
Cela n'empêche pas que les gens m'appellent Père Noël. même si d'autres font plus pitié que moi.
Et, vrai comme je suis là, le pire temps de l'année pour moi c'est le temps des Fêtes. Quand on m'appelle Père Noël l'été, on se dit que c'est seulement une blague.
On aurait pu me surnommer Ti-Caille ou Pustule-la-branlette, comme d'autres que j'ai connus. Eh bien non! On m'a surnommé Père Noël, moi, Peer Noël, fils de Roger Noël et de Berthe Masson.
Une chance que je n'ai pas porté les deux noms. Autrement on m'aurait surnommé Père Noël-Masson-nez-dans-son-cul. Oui, ça aurait pu être bien pire...