mardi 7 novembre 2017

Étapes sur les chemins de ma vie

Je n'ai pas approfondi l'oeuvre de Sören Kierkegaard et ne saurait vous en parler qu'en parfait profane. J'ai lu quelques trucs par-ci par-là. Dont Les étapes sur les chemins de la vie.

Je vais détourner un peu le titre: Étapes sur les chemins de ma vie.

Évidemment que je ne suis pas Kierkegaard. Ni Papineau. Ni Rembrandt. Ni Donald Trump.

Et ce n'est pas par vanité que je m'expose ainsi à la première personne du singulier.

On ne peut pas parler des étapes sur le chemin de la vie sans penser d'abord aux siennes. Autrement, on n'est pas vivant mais plus mort que le poisson mort.

D'aussi loin que je me souvienne, j'étais du genre à m'isoler. Je jouais souvent seul. Je parlais même avec des lutins. J'allais à la messe le dimanche en discutant avec mon ami El Lutin, un gnome avec des oreilles pointues qui marchaient sur les piquets de clôtures pour être à ma hauteur.

Puis El Lutin est disparu. Je devais avoir trois ou quatre ans. Ma coupe de cheveux de jeune Saint-Jean-Baptiste frisé a fait place à une coupe de cheveux René Simard. Du genre on te met un bol sur la tête et on coupe tout ce qui dépasse.

Je m'isolais encore dans mes jeux. Quand on venait nous visiter, j'allais me cacher dans le garde-robe ou bien sous le lit. Les contacts humains m'effrayaient. Ou bien ne me donnaient pas assez. Je ne sais trop.

À l'école, j'étais premier de classe. Je réussissais sans efforts. J'étudiais peu. J'avais souvent six mois d'avance sur le groupe. Pour me faire patienter, mes institutrices m'envoyaient à la bibliothèque d'où je revenais encore plus arrogant, défiant la science du corps professoral comme le petit Christ devant les docteurs du Temple de Jérusalem.

Cette arrogance cachait sans doute une grande fragilité. Je m'en rends bien compte aujourd'hui,

Quoi qu'il en soit, j'ai appris à magnifier cette arrogance pour me consoler d'être aussi distant dans mes amitiés et mes rapports sociaux.

Puis vint l'adolescence et ces premiers tourments amoureux.

Je n'avais que des mots. Trop de mots. Je ne savais pas comment séduire. Ni comment interpréter les signes de la séduction. J'aimais de moins en moins ma solitude. Je m'enfonçais dans une version idéalisée de ma vie où je faisais figure de guerrier qui gagnait à tous coups. J'allais gagner sans l'aide de personne. Ce ne fut pas le cas.

Je serais demeuré un petit merdeux infatué de lui-même et imbuvable si je n'avais pas connu des passions fort heureusement destructrices au début de ma vingtaine: l'amour, le sexe, les drogues et le rock and roll. Ces passions contribuèrent à tuer la part la plus conventionnelle et la plus institutionnalisée de moi-même. J'en sortis fripé, et même un peu paumé, mais farouchement libre. J'avais vaincu en moi-même le monstre de logique, le petit calculateur, le fanatique anarchiste, le gérant de caisse populaire, voire le curé. Il ne restait plus que l'artiste dans sa dimension la plus cosmique, pour ne pas dire comique...

L'amour m'a délivré de l'esprit de sérieux et m'a rendu plus poète, plus artiste, plus musicien. Je me suis mis à faire de la musique, à monter sur scène, à me donner en spectacle. Je voulais devenir Jim Morrison ou rien...

Il restait encore quelques pas à franchir.

Ils furent franchis en voyageant tout fin seul d'un bout à l'autre du pays, sur le pouce.

J'ai oublié que j'étais Gaétan Bouchard.

Les Yukoners ne savaient pas prononcer mon prénom, Gaétan. Ça sonnait comme Gitan pour eux.  Ils m'appelaient tout simplement Djitane, Gipsy, Gryzzli ou bien Sasquatch. Je n'étais donc plus le même. Personne ne connaissait mon enfance, mon adolescence et ma vie de jeune adulte. J'étais seul mais libre comme l'air. Et je me suis fait des tas d'amis solitaires sur la route que je n'ai jamais revus ensuite. Le monde, du point de vue du voyageur, était bien meilleur qu'il ne l'aurait semblé pour le sédentaire.

J'ai connu quelque chose comme un éveil spirituel sur la côte Ouest.

Je suis revenu différent, plus détaché, moins anxieux.

Les années passèrent.

La trentaine survint.

J'ai rencontré la femme de ma vie à 33 ans. Je vis encore auprès d'elle. Elle avait des enfants. J'ai donc appris à prendre soin des enfants, ce qui a radicalement changé mon point de vue sur la vie.

Le je s'est mis à prendre moins de place.

L'ego s'est dégonflé.

La compassion et l'empathie ont pris plus d'importance.

Je me suis mis à révéler mes sentiments plutôt que de les taire.

Je me suis surpris à me sentir capable de dire je t'aime. Et non seulement de le dire, mais aussi de le ressentir. Ce qui était tout un exploit!

Avec la quarantaine, je finis par trouver peu à peu ces certitudes incertaines qui me consolent de certaines incertitudes.

Mon rythme de vie s'est simplifié: moins d'angoisse, moins de situations grégaires, moins d'alcool, moins de bruit, moins de télé.

Je suis à l'aube de ma cinquantaine. Quelques petits bobos ici et là me confirment que je tomberai un jour ou l'autre en mille morceaux. Pour le moment, le navire flotte encore et défie toutes les tempêtes sur tous les océans de la vie.

Je suis un peu plus sensible en vieillissant. J'ai souvent la larme à l'oeil pour des niaiseries. Évidemment, je ne m'en vante jamais. C'est un secret que je partage avec vous. Je deviens un vieux braillard. Les yeux embués pour un aria de Verdi ou bien un radis. Comme si tout était trop beau, trop merveilleux et trop émouvant.

Qui serai-je demain?

Je me vois vieillir en lenteur, toujours plus prompt à pardonner les bêtises humaines ou bien à m'en éloigner à jamais.

Je souhaite devenir encore plus ouvert, plus tolérant et même plus calme bien que je le sois déjà trop pour d'aucuns.

À mon dernier souffle, j'aurai sans doute le sentiment d'avoir mené ma barque comme il se devait. Je n'aurais pas pu la mener autrement parce que le monde tel qu'il est m'a toujours profondément ennuyé. Hormis les arbres, les lacs, les planètes, les étoiles et les animaux...

Où en suis-je? Ici, devant mon écran.

Et pas plus loin que ça pour vous torcher un papier ayant trait aux étapes sur les chemins de ma vie.