jeudi 9 mai 2013

Adieu Kiki!

Kiki était le premier critique de son orgueil et de sa vanité. Il ne supportait pas la critique d'autrui parce qu'il ne critiquait jamais personne, sinon lui-même. Il n'était pas parfait, Kiki, mais ses imperfections ne nous faisaient pas oublier sa bonhomie et sa mansuétude.

Kiki, c'était le bon gars par excellence, même s'il était toujours dans la dèche, quoi qu'il fasse pour s'en sortir, tout simplement parce qu'il n'y a pas de mode d'emploi pour réussir, sinon ce bréviaire qui a changé la vie d'untel ou bien ce fameux livre des dix lois, dix questions et dix réponses publié par un sage tellement sage qu'il en est devenu riche à se faire sucer entre ses orteils sales.

Kiki, cet innocent dans le bon sens du terme, n'avait pas lu ces vérités et se contentait de vivre en évitant les coups et les blessures.

Le meilleur moyen d'éviter tout cela, évidemment, serait de ne jamais sortir de chez-soi.

Pourtant, Kiki sortait souvent. Il prenait de longues marches jusqu'au fleuve. Puis du fleuve jusqu'à la rivière. Et de la rivière au ruisseau. Enfin, vous avez compris le principe.

Je vous parle comme ça de Kiki que vous n'avez encore aucune description physique de ce bonhomme, comme s'il suffisait de parler du dedans de quelqu'un pour tout comprendre.

Kiki, de son vrai nom Karl Keyman, était un gars né quelque part entre l'Irlande et Terre-Neuve. Il s'était fait ballotter d'un orphelinat à l'autre pour finalement échouer à Montréal en 1976, pendant les Jeux Olympiques. Il avait dix-huit ans. Faites le compte pour trouver l'âge qu'il aurait aujourd'hui.

À l'époque où je l'ai connu, il avait plutôt quarante ans. C'était au début des années '90. J'avais échoué sur le boulevard Saint-Joseph, à Montréal. Kiki était mon voisin.

Kiki avait cette particularité d'être très petit. Il était atteint de nanisme. Et il atteignait la hauteur de trois pieds un pouce avec ses souliers à plateformes Hoche Popize qui le grandissaient un peu. On a beau être petit qu'on a ses coquetteries.

-Jeuh m'appelleuh Karl Keyman, qu'il m'avait dit, mais mes z'amis m'appelleuh(nt) Kiki...

Je lui avais serré la pince et, bon, on a commencé à parler de tout et de rien, dont la physique des particules et les tachyons, puisque Keyman lisait beaucoup de trucs à ce sujet dans ses temps libres.

Karl Keyman, alias Kiki, avait aussi coutume de toujours traverser le boulevard Saint-Joseph au même endroit. Il ne traversait jamais à l'intersection, même pendant les heures de pointe. Kiki se faufilait comme un toréador entre les voitures. Et c'était un miracle qu'il survive à chaque fois puisque personne ne le voyait tellement il était petit. De plus, Kiki Keyman était toujours vêtu de noir, pour faire plus sobre.

Cependant, il portait toujours une fleur à la boutonnière de sa veste. Parfois c'était du muguet. Ou bien un pissenlit. On le trouvait un peu excentrique. Mais bon, c'était Kiki.

Un jour, paf! Kiki est mort. C'était le 16 août 1991 ou 1992... Je ne me souviens plus de l'année. Je me souviens seulement qu'il a traversé la rue et que, paf! il est mort.

C'était tout de même un chic type, pour ce que je connaissais de lui.

Dont sa proverbiale bonhomie et sa non  moins respectable gentillesse.

Nous étions peut-être trois ou quatre cents personnes lors de ses funérailles. Tout le monde aimait Kiki. Oui. Mais il était mort. Et ça, ça vous raccourcit une histoire d'aplomb.

Adieu Kiki!


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