vendredi 19 avril 2013

Festin mange-tout

Vous vous souvenez de la manière que le Frère Toque mangeait dans le générique des vieux épisodes de Robin Fusée? Il prenait une bouchée de ceci, une bouchée de cela, et lançait tout le reste derrière lui.

Je suis un peu comme ça avec les arts. Je gratte un air de guitare. Je souffle dans mon harmonica. Je pianote sur le clavier. Puis je prends mes pinceaux et barbouille un moment. J'écoute un truc sur Espace Musique. J'écris quelque chose sur mon blogue. Je reprends mes pinceaux. Je rebarbouille. Je perds mon temps sur une feuille à produire des croquis inutiles. Je prends une bouchée de ceci et reprends une bouchée de cela. Et rien ne m'est plus précieux que ces moments de création intense où j'ai l'impression de goûter pleinement à la vie et de gravir un à un les échelons en vue d'accoucher un jour d'une belle âme.

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Les scènes de festin, dans Astérix, m'ont plus conquis à Uderzo que n'importe quel scénario.

Quand l'appétit va tout va m'a longtemps semblé parmi l'un des airs les plus magnifiques qui ait été composé par une personne humaine.

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Parlant de bouffe, je me rappelle une anecdote que je vais vous raconter comme ça, pour ce que je me souviens.

Cela se passait chez la famille Painchaud. Ils étaient tous très gros les Painchaud. La mère devait bien peser trois cents livres et c'était idem pour le papa. Les enfants Painchaud étaient tous gras et gros.

Toutes les mères du quartier avaient coutume à cette époque de crier comme des folles dans les ruelles pour diriger leur marmaille. Elles gueulaient à leurs petits de faire ceci ou cela, d'un bout à l'autre du faubourg.

-Rentre à 'a maison! Va m'chercher un paquet d'cigarettes au dépanneur! Fais-ci, fais-ça! Et coetera!!!

Et le petit gars obéissait ou bien s'engueulait avec sa mère pour ne pas perdre la face devant ses chums et passer pour une lopette.

-Va chier! J'y irai pas faire ta commission calice!!!

-Ah oui? Viens-t'en icitte mon p'tit djéwisse m'en va's t'montrer comment parler à ta mère!

Et la mère de talocher devant ses potes le petit qui s'était montré trop brave.

Ça, c'était bien avant que n'existe la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et toute la propagande scolaire contre le droit de donner des taloches ou bien des coups de ceinture.

Pour ce qui est de Madame Painchaud, elle était de la bonne pâte, et jamais elle ne gueulait après ses enfants. Elle les tenait tous par le ventre. Ils courraient vers elle pour chaque promesse d'encore bouffer comme des porcs.

-Va m'chercher un Kik pis ramène-nous chacun un chips mon Ti-Oui...

Ti-Oui Painchaud, c'était notre chum, bien entendu. Et lui, plutôt que de recevoir des taloches, il recevait de l'argent et il engraissait. Son père était bien payé pour le travail bêtement répétitif qu'il effectuait à l'usine. Les Painchaud pouvaient donc manger tout ce qu'ils voulaient et plus encore.

Il y avait des tas de rôtisseries un peu partout dans le quartier et il était de coutume pour les Painchaud de faire appel à Ti-Oui pour aller chercher ce qu'on appelait des Ti-Coqs. La rôtisserie Ti-Coq vendait des boîtes de carton garnies d'un poulet rôti, d'un petit contenant de salade de chou, d'un contenant idoine de sauce brune et d'un petit pain mou. On appelait ça un Ti-Coq.

Les Painchaud avaient bien sûr un rapport tout particulier avec la nourriture.

Quand c'était le temps de manger du Ti-Coq, Madame Painchaud n'avait aucune vergogne à se présenter sous son jour le plus pansu.

-Va nous chercher des Ti-Coqs mon Ti-Oui! Deux chaque!!!

Deux chacun!!! Ils étaient vraiment des ogres... Non seulement une boîte, mais deux!!!

Et c'était tout le temps comme ça chez les Painchaud. Tout était dédoublé, décuplé, centuplé, surtout pour la bouffe.

Les Painchaud mangeaient du steak de quatre pouces d'épaisseur.

Les Painchaud se rentraient douze hot-dogs chacun dans le gorgoton.

Les Painchaud buvaient trois fois deux litres de boisson gazeuse par jour.

Ils fumaient comme des cheminées.

Et ils moururent probablement tous très jeunes.

Mais ça, c'est une autre histoire.

Et je ne sais même pas pourquoi je viens de glisser sur celle-là. Comme si je devais me vider la tête d'un petit quelque chose qui a laissé de larges traces dans ma mémoire.

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Les Mohawks du temps de Pierre-Esprit Radisson avaient un rapport tout particulier avec la bouffe. Ils aimaient organiser des festins mange-tout à un point tel que cela dépasse l'entendement. Ils pouvaient en ces occasions régurgiter plusieurs fois simplement pour faire de la place pour d'encore plus grandes quantités de nourriture. Ils bouffaient tout, tout, tout, jusqu'à ce qu'il ne reste rien. C'était leur manière de rendre honneur au Grand Esprit de livrer aux hommes tant de bonne nourriture.

Radisson, qui s'appelait aussi Esprit, était devenu en quelque sorte un Iroquois après avoir été enlevé et adopté par la tribu. Il vécut comme un Iroquois pendant presque deux ans. Il parlait leur langue et pratiquait leurs coutumes.

À l'époque où Dollard des Ormeaux volait des fourrures aux Indiens et s'enfermait dans un fort pour résister aux Iroquois qui étaient en tabarnak de s'être faits voler, Radisson en rencontra sur son chemin. Il risquait la mort, comme d'habitude. Les Iroquois n'étaient pas aussi conviviaux que les Algonquins depuis que le Français Jacques Cartier avait enlevé les fils du chef Stadaconé. Ils faisaient un peu de ressentiment et leur comportement était imprévisible.

Je ne sais pas s'il se fit passer pour un Anglais, puisqu'il aurait tout aussi bien pu le faire.

Je me rappelle d'avoir lu dans ses Voyages of Peter Esprit Radisson qu'il proposa au groupe d'Iroquois qu'ils croisèrent sur la route des Grands Lacs un festin mange-tout que ces gloutons ne purent pas refuser.

Radisson, qui n'a jamais été fidèle qu'à lui-même, qui a trahi Français, Anglais et Iroquois, profita de l'après-festin mange-tout pour leur trancher la gorge l'un après l'autre. Les Iroquois, pleins comme des boudins, et probablement enivrés par l'alcool, ne purent résister.

Je ne sais pas pourquoi je viens gâcher le festin avec cette anecdote...

Aussi bien vous quitter sur une note plus joyeuse.



2 commentaires:

  1. S'tu vrai que Radisson aimait manger des groseilles, yé, yoman?

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  2. Il a peut-être été un peu cannibale compte tenu qu'il a été adopté par les Haudonosaunis qui pratiquaient l'anthropophagie en période de guerre lorsqu'ils n'étaient plus à l'écoute des préceptes émis par Deganawidah au pied de l'Arbre de la Grande Paix...

    Desgroseillers devaient se contenter de manger ses mocassins quand il traversait des moments de famine avec le beau-frère Peter-Spirit... Évidemment, il le surveillait toujours un peu du coin de l'oeil... Sait-on jamais...

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