lundi 15 octobre 2012

Les dimanches midis aux bines au Bar Ducoin

Ernie avait bon coeur en plus d'être toujours de bonne humeur. Il avait réussi à vendre l'idée des dimanches midis aux bines au Bar Ducoin. Le patron, Réjean, se faufilait parmi les eaux troubles du crime désorganisé. Pourtant, les dimanches lui semblaient sacrés. Et il aimait l'idée de savoir que le petit peuple le considérerait à l'égal d'un dieu pour ces bines gratuites qui ne coûtent pas bien plus que trois fois rien à produire.

De plus, Ernie était pleinement ouvert à l'idée d'être payé le quadruple du prix raisonnable en consommations et spiritueux. Réjean trouvait que c'était un bon deal. C'était une situation «gagnant-gagnant»...

-Gagnant-gnangnan, lui avait plutôt dit Ernie en lui faisant un clin d'oeil drolatique.

-Comment qu'ça t'en prend des bines Ernie?

-Donne-moé un budget d'cent piastres pis j'te remplis la place de gars qui vont boire comme des trous...

-Ok. Ben hâte de voir ça...

Réjean alias Reggie ne fût pas déçu. La place s'est remplie en un rien de temps. Et ils ont bu comme des trous.

C'était servi à la bonne franquette. Ernie était derrière le chaudron de bines et t'offrait une bonne plotée de bines avec du pain acheté dans la boulangerie la plus chic de la ville, oui monsieur, Au Levain Adorable, sur la rue St-Irénée.

Splof! faisaient les bines en s'effoirant dans l'assiette de carton recyclé.

-Mange ça mon homme, les meilleures bines au monde! Les bines de Ernie alias Ernesto Ché Mâche-moé-ça!

-Marci Ernie! qu'on lui disait sans plus de façons.

Réjean avait le teint un peu plus rosé que de coutume ces dimanches-là. Il se sentait bon et généreux avec le petit peuple, dont il était lui-même issu. Son père était un Indien de l'Ontario et sa mère une aveugle. Son frère René avait les pieds plats. Donc, Réjean avait connu la misère, y'a pas de doute. Et quand il se sentait bon comme ça, il devenait nostalgique et se mettait à boire comme un trou lui aussi.

Ernie sifflait et chantait en crissant les bines dans les assiettes.

-Lalala... Lalala... Zwiiii... Wouuu... Lalala...

Splof! Splof! faisaient les bines en s'effoirant.

Il y en avait toujours pour tout le monde.

Et même que Ernie faisaient des plats pour les rescapés, à la fin de la soirée, tellement qu'il en faisait pis qu'il en restait des bines. Réjean s'en sacrait un peu. Les recettes avaient été bonnes.  Le juke box avait joué les mêmes tounes de Led Zeppelin toute la soirée. Led Zeppelin et Paul Piché, allez savoir pourquoi. Il s'en trouvait un à tous les dimanches qui trippait sur L'Escalier et la faisait jouer sans arrêt.

-Tu peux faire c'que tu veux d'ta moulée mon Ernie! Arf! Arf! lui disait à tous les dimanches soirs un gros Réjean aviné.

-Marci Réjean! C'est une gagnant-gnangnan situéchonne! lui répliquait immanquablement Ernie.

-Oui monsieur!

-Yes sir!

-Ouais.

-En plein ça.

-Arf! Arf!

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