Les oiseaux cuicuitent à qui mieux mieux. On entend au loin vrombir le moteur d'un système d'air conditionné, puis celui d'une automobile. Ensuite, plus rien. Encore quelques gazouillis sous le soleil. Les nuages sont ronds dans le ciel. Ronds comme des nuages d'automne.
C'est dimanche. L'air est frais.
Hervé craint l'élection d'un gouvernement de gauche mardi prochain. Il s'est fabriqué un bunker dans son sous-sol. Un bunker qui pourrait autant résister à une guerre nucléaire qu'au péril rouge. Il y a de quoi vivre pendant deux ou trois ans. Des tas de boîtes de conserve. Surtout du ragoût de boulettes et du pâté de foie. Peu de légumes. Hervé n'aime pas les légumes. Il combat sa constipation avec de la bière ou bien du jus de raisin extra-sucre.
Hervé pourrait profiter de ce dimanche pour se reposer, lui qui travaille tout le temps pour se payer cette maison sur laquelle il travaille même le dimanche.
-Les artistes ne foutent rien! Et ils demandent aux autres de voter à gauche! Moé, j'ai pas le temps de rien faire pis j'voés pas pourquoi y'en a qui passeraient leur temps à remplir des cahiers à colorier ou ben don' à écrire des niaiseries quand moé j'paye pour eux autres sacrament! Qu'i' travaillent! Ben non! Y'aiment rester pauvres pis communistes!
Ting! La sonnerie du micro-ondes vient de tinter. Le ragoût de boulettes de Hervé est bien chaud.
-Hum! C'est bon ça du ragoût d'boulettes Cordon Boeuf. Menoum!
Évidemment, Hervé est un homme bien trop pressé pour manger avec une fourchette ou une cuillère. Il s'enfonce la face dans sa pâté et liche l'assiette en un tournelangue. Ça revole partout. Hervé se beurre la face comme un cochon. Pour dire vrai, il s'en crisse.
-Hastie qu'c'est bon! Les gauchistes diraient qu'ej'mange d'la cochonnerie! Ben si i' mangeaient plusse du ragoût en canne au lieu d'manger du pain brun bio qui coûte la peau des fesses, ben i' pourraient awouère une belle maison comme la mienne... Ben non! Ça aime mieux se faire laisser vivre par les autres ces hosties d'pouilleux!
Un filet de sauce brune coule de sa bouche un peu croûteuse.
Il y a des tas de papier sur le comptoir. Des factures pas payées. Des dettes de fou. Hervé n'a pas fini de travailler pour se payer sa maison, sa piscine, son char, son bunker et le reste qui est ballotté par le vent: enfants, femmes, parents...
Les oiseaux cuicuitent. On entend parfois le moteur d'une automobile vrombir au loin.
Hervé a fini son déjeuner. Il gosse encore après son bunker tout en écoutant des niaiseries sur son poste de radio préféré, un poste tout dévoué aux Angry White Men comme lui qui travaillent comme des boeufs pour se faire domper par tout le monde: l'État, les femmes, les enfants...
-Sont tous des mangeux d'marde! Fuck la gogauche calice! qu'il se dit, Hervé, en se faisant des ulcères d'estomac.
Les féministes, les races, les artistes, les assistés sociaux, les pauvres, les chômeurs, les grévistes, les fonctionnaires, calice qu'il les hayit, Hervé. Comme il hayit ses ex, ses enfants, ses parents.
Par contre il aime son pays. Il aime l'armée. Il aime la police. Il aime le Premier ministre. Et c'est à peu près tout.
Comme il n'aime personne, Hervé en est réduit à bander sur son hostie de bunker.
Il n'aime pas que ça change. Enfin pas tant que ça.
Il est méthodique en tout. En politique comme en nourriture. Du manger, c'est rien que du manger après tout. C'est fait pour être chié. Alors pourquoi toutes ces fantaisies?
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