jeudi 16 octobre 2008

LA FORCE DE VIVRE DES MAGANÉS

J'ai toujours été frappé par la force intérieure qu'il peut y avoir chez certaines personnes qui, à plusieurs égards, devraient forcément être aigries et démoralisées.

Prenons l'ex-lieutenant-colonel Loew. Vous ne le connaissez pas encore, n'est-ce pas? Bon, je vais vous le présenter.

Je l'ai connu il y a vingt ans de cela. Il est probablement mort au moment où j'écris ces lignes. Ou bien tout près de l'être.

J'étais préposé aux bénéficiaires, à l'époque, au Centre hospitalier de l'U*** L*** (CHUL, sic!) et je m'occupais des malades autant que des morts. Je torchais les malades et, quand ils mourraient, je les lavais une dernière fois avant que de les mettre dans un linceul de plastique, avec des étiquettes d'identification aux bras et aux jambes. Je les emmenais reposer ensuite dans un réfrigérateur à la morgue, située au sous-sol de l'hôpital, un endroit qui faisait travailler mon imagination surtout quand j'étais seul, de nuit, à transporter mon cadavre sur une civière.

À l'époque où je l'ai connu monsieur Loew n'était pas fort, fort, mais il n'était pas mort. Cependant, le linceul de plastique n'était pas loin.

Monsieur Loew était atteint d'une dégénérescence du système nerveux qui allait inévitablement le conduire à ne plus respirer du tout. C'était sans appel et il le savait autant que nous le savions en discutant avec l'infirmière en chef qui, en plus de vouloir se faire baiser par tous les préposés, nous confiait des petits secrets sur l'état de santé de chaque patient.

Ne vous attendez pas à un récit porno ici, même si l'amour côtoie souvent la mort. Je ne l'ai jamais baisée, cette infirmière-là! Et je ne vois pas ce qu'elle vient faire ici dans mon histoire puisque j'ai toujours refusé de tomber dans son piège, qui consistait à demander au préposé de lui frotter le bas du dos avec de l'huile pour bébés. Inévitablement, le préposé finissait par lui lubrifier la cramouille et tout le reste. Zipzap, trois petits coups dans le bazou, et le quart de travail reprenait comme si rien ne s'était passé.

Non, je ne vais pas vous raconter ça...

Revenons à monsieur Loew. Il était vraiment sur le point de crever. Les seul organes qui n'étaient pas encore affectés, c'était sa tête, sa bouche et sa main gauche. Il pouvait encore parler, le pauvre homme, et il ne parlait que pour nous dire du bien, nous faire rire, nous amuser. Tous les matins, on le hissait dans sa chaise roulante électrique et il faisait son petit bonhomme de chemin en conduisant son bolide avec sa main vaillante.

C'était le plus magané de tous, pourtant il riait tout le temps et sa bonne humeur était contagieuse. Je l'admirais pour ça et je me faisais plaisir de lui parler pendant des heures de tout ce qui me passait par la tête, certain de trouver chez-lui cette sagesse que je ne voyais nulle part autour de moi. Cet homme sur le point de mourir pouvait m'apprendre à vivre mieux que quiconque.

Un jour, je me souviens qu'un de nos patients, monsieur Bérubé, ex-sergent de l'armée, n'arrêtait pas de se plaindre de ses rhumatismes, de son arthrite, de ses maux de jambes, alouette. C'était un vieux creton toujours déprimé, toujours triste, et pourtant encore capable de marcher jusqu'au A&W du coin pour aller s'acheter un café avec un Papa Burger. Monsieur Loew n'en pouvait plus de l'entendre se plaindre et, fatalement, il sortit de ses gonds.

-Écoute Bérubé! lui lança-t-il un jour avec son fort accent belge. Tu crois qu'il n'y a que toi qui souffres ici? Ta-ber-na-cleu! Regarde-moi! J'suis foutu, il ne me reste que ma tête et ma main gauche, et est-ce que tu m'entends me plaindre à tous les jours? Jamais! Je ne me plains jamais! Alors cesse de nous faire chier avec tes p'tits bobos! Sois un homme!

Monsieur Bérubé n'a rien dit, évidemment. Il est parti vers sa chambre en claudiquant. J'oubliais de dire qu'il était sourd comme un pot et qu'il ne l'avait probablement pas entendu. Pourtant, j'ai enregistré les propos de monsieur Loew dans ma cervelle pour qu'ils me servent de leçon.

***

Un de mes grands amis a failli mourir après avoir chuté d'un sixième étage un jour où il était probablement trop saoul. Il ne se rappelle de rien. Et il a failli crever. On le tenait pour mort à mille contre un: les os en bouillie, les organes internes finis, etc. Eh bien le sacrement est sorti de son coma, a fait de la physio et, maintenant, même s'il est tout croche avec une jambe en moins, on ne saurait rencontrer un type plus en paix avec lui-même et heureux d'être ici pour communiquer sa joie d'être en vie, même avec des morceaux en moins.

Il ne se plaint jamais. Il chante à longueur de journée. Il salue tout un chacun. Un vrai de vrai qui est condamné à prendre soixantes pilules par jour jusqu'à son dernier souffle.

Qu'est-ce qu'il déteste le plus? Les gens qui se plaignent pour rien.

***

Je suis relativement en pleine forme. J'ai tous mes morceaux. La vie m'a comblé de beaucoup de joie et de bonheur, malgré tout. Et j'ai peine à supporter les gens qui se contristent pour rien, ou si peu que ça n'en vaut pas la peine.

Je me dis que je vais vivre cette vie pleinement jusqu'à mon dernier souffle, comme monsieur Loew, comme mon grand ami, dussé-je me traîner sur les trottoirs avec ma langue, couché sur un skateboard.

La vie est courte, les amis, et nous n'en avons qu'une seule, jusqu'à preuve du contraire. Il serait trop con de la vivre en esclave de nos bobos. Surtout si le muscle le plus important du corps n'est pas affecté, je veux dire le cerveau.

Vivons, hostie, vivons...

4 commentaires:

  1. Gaétan Bouchard!

    C'est vraiment un plaisir de te lire.

    J'avais le pied dans la porte de la commissaire aux plaintes existentielles, aujourd'hui. Mais quand je t'ai vu passer avec ton post, j'ai réfléchi.

    Pis j'me suis fermée la yeule.

    RépondreEffacer
  2. J'fais pas par ex-i-près.

    J'savais même pas que j'avais réfléchi en écrivant.

    Mais c't'un fait qu'on se plaint souvent pour pas grand-chose.

    RépondreEffacer
  3. J'ai déjà été bénévole dans un foyer de vieux à Limoilou. Aller jouer au g.o. avec une tuque de père noël pour des plaignards narcissiques, c'est plate! Entendre sans arrêt des litanies de tamalous, qui savent rien que comparer leurs bobos et leurs pilules, c'est fatiguant!

    Mais y en avait une dans la gang plus sympathique que les autres. Une vielle fille octogénaire, un frame de chat déformé par l'arthrite. Elle, elle chialait pas. Je nous faisais plaisir; on jouait au crib, on jasait. Elle parlait de tout simplement, en connaissance de cause, des plantes, du système des castes en Inde, de la poésie. Un oiseau rare.

    Un soir, je lui ai avoué mon exaspération face aux jérémiades des autres vieux. Elle m'a regardé un long moment, et a répondu ceci : Tu sais Alain, il faut pas leur en vouloir. Ils ont mal et ils pleurent, surtout parce qu'ils manquent d'amour. Ça m'a beaucoup ému. Parce que j'ai senti à quel point c'était vrai, à quel point ça manque d'amour ici bas.

    RépondreEffacer
  4. Ne pas se plaindre, peut-être. Mais se révolter, toujours.
    Exigeons l'impossible, exigeons la justice.

    Venceremos.

    RépondreEffacer