lundi 20 octobre 2008

KUNG FU FIGHTING DANS LA P'TITE POLOGNE À TWOIS-WIVIÈWES


Le petit Mario n'est pas très petit en fait. Il n'est petit qu'en hauteur. Bref, c'est un petit gros de neuf ans qui ressemble à une guimauve, et pas juste de la face. Il a de petits yeux enfoncés dans de la belle pâte à croissants Pitsbury. Ça fait rire ses camarades qui lui font manger des chenilles vivantes et lui rentre de la colle dans les oreilles.

Pour le petit Mario, c'est pas mêlant, tous les jours c'est sa fête.

Ah! C'est que le petit Mario vit dans la P'tite Pologne, à Twois-Wivièwes, quartier dont le surnom évoque à lui seul la misère et la pauvreté.

La P'tite Pologne est un quartier bien pauvre, bien entendu. St-François-d'Assise et St-Jean-de-Bosco y ont planté deux écoles. On ne voit jamais ces saints-là dans les quartiers riches. Faites-le test et vous verrez! Plus le quartier est pauvre moins il y a d'apôtres, juste des petits saints de second ordre. St-Paul et St-Pierre c'est pour les riches. Les autres doivent se contenter de Ste-Cécile ou bien de Notre-Dame-des-Sept-Allégresses, tout ce qu'il reste, le fond du baril, comme toujours.

Enfin! Le petit Mario n'a pas encore cette conscience sociale de la misère et de la pauvreté. Il veut que l'on cesse de le martyriser, lui qui ne se porte pas volontaire pour le missionnariat parmi les brutes et les malabars de la P'tite Pologne, même si tout un chacun le surnomme parfois «curé». Curé, parce qu'il est le dernier enfant du coin obligé d'aller à la messe le dimanche, pour prier que Dieu lui vienne en aide en cette vie de souffrances et d'humiliations quotidiennes.

Ce brave grâçon tout pétri de bonne pâte ne réagit jamais aux événements lorsqu'ils lui tombent dessus à la vingtaine. Tout effort est vain sous les coups de vingt voyous dans la P'tite Pologne et le p'tit curé Pitsbury finit par manger son bout de chenille vivante sans se plaindre, tous les jours que le bon Dieu amène, les yeux au Ciel, à implorer l'infini silence de l'éternité malheureusement retrouvée. Évidemment, ça vous écoeure un peu, la chenille. Et vient un jour où, veut, veut pas, vous vous dites que vous feriez mieux de suivre des cours de kung fu fighting.

Donc, le lendemain Mario en a assez de se faire traiter de p'tit curé Pistbury et il décide d'investir toutes ses économies, à l'insu de ses parents pacifiques et bon chrétiens, dans un cours de kung fu fighting.

Il se rend donc à l'Académie de kung fu Awasso, sur la rue St-Maurice, une des vieilles artères du quartier Notre-Dame, avec son Cinéma de Paris où Mario peut voir les derniers films de Bruce Lee, Rocky 1 et Mon nom est personne. Trois modèles à suivre pour survivre dans la P'tite Pologne: le kung fu, le cogneur fou et le tireur d'élite, pour tous ces durs à cuire qui ne durent jamais plus de trois mois dans le quartier avant que de se faire pincer.

L'Académie de kung fu Awasso est dirigée par Yo Pin, un dissident politique chinois qui, pour mieux critiquer le régime de Mao Zedong, s'était mis dans la tête de devenir ceinture noire douzième dan de kung fu.

Yo Pin, je vous jure, c'est un vrai Bruce Lee, en plus vrai je veux dire. Il mesure cinq pieds deux pouces et pèse quatre cent cinquante livres. Il est à la limite de l'obésité morbide. Ceinture noire douzième dan? Vraiment?

Certains esprits mal embouchés préfèrent dire que c'est un gros tas d'marde. Mais laissez-moi continuer. Vous allez voir.

Yo Pin a toujours un hot-dog ou bien une barre de chocolat dans la main. Il bouffe toute la journée, canette de Coke dans l'autre main. Et c'est tout ce que voit Mario au cours de ses vingt premières leçons, un gros tas d'marde qui mange tout le temps et laisse à ses assistants le soin de donner des cours de ballet-jazz.

Mario en a assez de ces gestes gracieux, ces «on imite la lune, on danse sous les étoiles, on étire la patte...» Il veut du concret, Mario, du solide. Il veut en finir avec le goût des chenilles vivantes.

Mario songe franchement à troquer Bruce Lee contre Rocky ou bien contre une... autre barre de chocolat. C'est bon du chocolat, se dit le p'tit bonhomme Pitsbury en lui, miam, miam. Mais non, Mario résiste.

C'est alors que Yo Pin intervient. Il sent par son sixième sens qu'il passe pour un escroc aux yeux du jeune homme. Yo Pin se décide à faire une démonstration qui va tous leur clouer le bec une fois pour toutes sur l'authenticité de sa ceinture noire douzième dan.

-Maître Yo Pin va nous faire une démonstration... déclare une jeune blonde dans la vingtaine qui leur enseigne le ballet-jazz, à Mario comme aux autres disciples payants.

Yo Pin rentre dans le gymnase. Il sue. Son tee-shirt est recouvert de traces de moutarde et de petits oignons finement coupés. On peut voir sa raie du cul sous son pantalon d'édu en coton ouaté trop étroit.

Yo Pin fait signe à ses assistants pour qu'ils tiennent son hot-dog et son Coke pendant sa démonstration. Il ne dit pas un mot surtout parce qu'il ne parle pas français. Les assistants lui parlent en anglais, quand c'est le temps de passer une commande à la rôtisserie du coin.

Yo Pin se met alors à tous les dévisager d'un air étrange. Il fronce les sourcils. Sa graisse converge vers l'axe de son nez. On dirait qu'il entre en transe. Mais non, il porte la main vers sa bouche et il rôte...

-Baaaaaaa-aarp!

Et là, sans nulle autre cérémonie, Yo Pin fait trois pas et, d'une rapidité à bouleverser les lois de la physique, Yo Pin touche le plafond du pied, un plafond situé à un bon huit pieds de hauteur.

Yo Pin retombe au sol dans un nuage de poussière de plâtre, comme si rien ne s'était passé. Il reprend sa canette de Coke et son hot-dog puis retourne s'enfermer dans son bureau pour finir sa pizza et ses frites.

Les disciples regardent au plafond. La poussière de plâtre flotte encore dans le gymnase. Ce gros plein d'marde vient de fendre le plafond d'un seul coup de pied...

Mario perd tous ses complexes de petit gros sur-le-champ. Il vient d'apprendre que tout est possible.

Dans les jours qui suivent, le p'tit curé Pitsbury va fondre à tous les jours, à tenter de défoncer le plafond d'un coup de pied, à déserter l'église et à se fermer aux sermons de ses parents.

Plus personne n'oserait lui faire manger des chenilles vivantes à nouveau. Même pas les Évangiles.

Tous les coupables sont châtiés par procuration par un jour de satori. Mario a son illumination, sa vision claire de toutes choses, son satori quoi. Il ne s'en prend qu'à un seul, celui qui tente une fois de trop de porter une chenille vivante à ses lèvres, un lâche comme tous les autres. Mario lui donne un si formidable coup de pied dans la mâchoire que le couard en perd l'usage de la vue, du goût et de l'odorat. Les autres couards s'enfuient. Mario a triomphé, pour un instant.

Mario est envoyé au Tribunal de la jeunesse pour voies de faits graves ayant causé des lésions permanentes. Le juge rappelle la gravité de l'offense, un visage défiguré à jamais, et vingt témoins pour dire qu'il mentait à propos des chenilles.

Mario est condamné à suivre un quelconque programme de rééducation populaire, comme en Chine, pour avoir suivi l'exemple du traître Yo Pin, dissident, maître de kung fu et amateur de frites bien graisseuses.

L'affaire du petit Mario parvient aux oreilles de Yo Pin, alors qu'il savoure un plein baril de Poulet Frit Kentucky.

-Le petit Mario ne pourra plus suivre ses cours, lui dit la secrétaire, la même petite blonde de tantôt. Est-ce qu'on retourne une partie du chèque encaissé?

Évidemment, elle lui dit ça en anglais.

Yo Pin fronce ses sourcils. Il laisse tomber son poulet frit. Sa graisse converge vers l'axe de son nez.

-No money back! First rule of kung fu fitghting!

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