vendredi 17 octobre 2008

Chagon Orimha!


«Aux débuts de la colonie de la Nouvelle-France, la région des Trois-Rivières jouissait d'une réputation peu enviable: celle d'être le théâtre de prédilection des maraudes et des exploits sanguinaires des Iroquois. La situation avancée de ce poste le désignait à leurs attaques sans cesse renouvelées.» C'est ainsi que commence Donatien Frémont pour son livre Pierre Radisson, paru en 1933, à Montréal, aux éditions Albert Lévesque. C'est pas jeune ça. Donc, c'est bien écrit.

Je caresse depuis des années le projet d'écrire un roman sur Radisson. Un roman qui tarde à venir, peut-être parce que le mythe, en lui-même, transcende ma capacité à le transmettre sous cette forme. Je garde ce projet pour mes vieux jours. Peut-être qu'il ne verra jamais le jour. Néanmoins, je me sens d'attaque aujourd'hui pour vous donner quelques couplets en prose à ce sujet.

CAPTIF CHEZ LES IROQUOIS

D'abord, Pierre-Esprit Radisson est pour moi le plus grand anti-héros de l'histoire de l'Amérique du Nord. J'ai beau chercher: je n'ai rien trouvé de mieux. Et je n'ai pas eu à chercher loin: l'histoire a débuté ici, à Twois-Wivièwes, comme on dit par chez-nous. Twois-Wivièwes, un village métis algonquin qui allait devenir une authentique usine à produire des aventuriers et des coureurs des bois de la trempe de Radisson.

Radisson arrive à Trois-Rivières en 1651, avec sa famille. Il n'a que 16 ans quand, au printemps de 1652, défiant les avis de tout un chacun, il franchit la clôture en pieux de la bourgade pour s'aventurer du côté des marais de Pointe-du-Lac avec deux autres téméraires.

Ils s'en vont à la chasse aux canards en plein territoire ennemi, là où l'on affirme qu'il y a un Iroquois caché derrière chaque arbre. Les trois jeunes hommes se séparent pour chasser chacun de leur côté puis, parvenant au lieu de rencontre, Radisson tombe sur ses deux copains éviscérés et scalpés.

Voilà qu'on lui tire dessus: les Iroquois! Radisson court et riposte. Il craint le sort qui l'attend: torture, scalpage, cannibalisme... Les Iroquois ne sont pas tendres envers leurs ennemis. Ils croient même qu'ils les honorent en les faisant souffrir... Bref, Radisson est dans de beaux draps et, par un curieux hasard, on se contente de le capturer, après l'avoir mis nu comme un ver et attaché. On le ramène à bord d'un canot, les scalps de ses deux malheureux amis à ses pieds, vers une village Iroquois situé dans l'État de New-York.

LA FÊTE AU VILLAGE - HO! HO! CHAGON!

C'était la fête au village quand les guerriers revenaient avec leur lot de prisonniers. On faisait deux haies d'honneur et les prisonniers devaient un à un faire des allers-retours parmi ces joyeux lurons qui s'égayaient de les faire souffrir à coups de griffes, de poings, de gourdins ou de coquillages tranchants. Si le prisonnier ou la prisonnière se mettait à pleurer on l'étranglait sur-le-champ. Les Iroquois ne respectaient pas les lâches. Et ils n'accordaient la vie qu'aux plus valeureux. «Chagon!» leur disaient les Iroquois en les torturant, «Sois courageux!»

Les plus valeureux avaient une chance d'en sortir vivants. Radisson a bien dû recevoir quelques claques sur la gueule mais, comme il connaissait quelques mots indiens, il leur disait qu'il s'appellait Orimha, ce qui veut dire «pierre» en leur langue. Or, une vieille squaw avait cru reconnaître en ce jeune homme l'esprit de son fils Orimha. Et par cette reconnaissance, Pierre-Esprit Radisson, alias Orimha, fut adopté par cette squaw pour remplacer son fils mort au combat. Orimha fut soustrait aux tortures et à la mort. Mais comme il devint lui-même un Iroquois, on suppose qu'il n'eût pas le choix de pratiquer les tortures et autres actes de cannibalisme comme manger le coeur ou le foie de ses ennemis en les regardant dans les yeux...

Au cours des mois qui suivirent, Radisson mena la vie de Orimha. Il parcourut les forêts et les lacs, avec sa nouvelle famille, participant pleinement à leur mode de vie comme un authentique warrior.

RADISSON S'ENFUIT!

Puis, un jour, discutant en français avec un prisonnier micmac, à l'insu de ses deux nouveaux frères adoptifs, il résolut avec le Micmac de tuer ses deux frères adoptifs et de s'enfuir avec le Micmac en direction de Trois-Rivières. Orimha tua les deux malheureux et canota avec le Micmac tout le long de la rivière Richelieu, jusqu'à Sorel, tourna à droite, et se fit recapturer à Pointe-du-Lac, par les mêmes Iroquois qui le ramenèrent dans le même village après avoir déchiqueté le Micmac.

Cette fois-là, Radisson ne s'en est pas sorti facilement. On lui a donné le traitement royal. De jeunes enfants lui coupèrent deux ou trois doigts avec des coquillages, bourrèrent la pipe d'un guerrier qui contempla notre bon Orimha d'un air impassible.

Puis on le lacéra de diverses manières toutes plus ingénieuses les unes que les autres. Et on le laissa comme ça, au bout de son sang, sur le point de crever. Et comme on revenait le chercher pour le brûler un peu, la pluie se mit à tomber. Pourquoi? «Parce que l'esprit de Orimha se manifeste encore!» déclara la vieille mère adoptive.

Du coup, Pierre-Esprit Radisson eut encore la vie sauve. On lui redonna de beaux vêtements, on lui fit une belle coupe mohawk et Orimha mena sa vie d'Iroquois, à manger des coeurs et des foies ennemis.

RADISSON S'ENFUIT ENCORE!

Dégoûté par les atrocités qu'il voit et qu'il commet, Radisson s'enfuit à nouveau, quelques temps après, et se rend à Fort Orange, du côté des Hollandais. Puis de Fort Orange, il retourne vers l'Europe et revient finalement à Trois-Rivières. Radisson est mieux adapté que jamais au Nouveau-Monde: il le connaît mieux que n'importe quel Européen, parce qu'il est déjà un métis.

Avec son beau-frère Des Groseillers, Radisson nourrit le projet de s'enrichir au Nouveau-Monde et il parcourera tout le continent du Nord au Sud pour étendre l'influence de la France et... de l'Angleterre.

Radisson ne craint pas les Iroquois: il les connaît, il parle leur langue et il sait faire preuve de ruse. Les Iroquois le craignent: ce type est devenu pour eux le diable en personne! Il emploie leurs tactiques. Il se bat comme un Indien avec auprès de lui des Algonquins des Trois-Rivières. La force des Français sur le continent dépendra essentiellement de ce métissage réussi, compte tenu de leur faiblesse au plan numérique.

Radisson et Des Groseillers reviennent à Québec avec des tas de pelleteries. Ce qui sauva la colonie cette année-là. Il se fit de l'argent comme jamais.

HUDSON BAY COMPANY: RADISSON LE TRAÎTRE!

Radisson ne demeura pas longtemps un héros. Il passa dans l'autre camp, du côté de l'Angleterre, pour en finir avec tout plein de tracasseries administratives, le gouverneur de la France s'accaparant tout le profit sans jamais prendre part au danger.

On doit à Radisson la fondation de la fameuse Hudson Bay Company.

Il est revenu un temps à la France, après s'être fait fourré par le CA de la Hudson Bay Company. Il a chassé les Anglais de la baie d'Hudson après les avoir lui-même installés là! Mais lorsque Radisson revint à Québec avec ses prisonniers anglais, il apprit que la guerre avec l'Angleterre était terminée depuis déjà quelques mois et que la baie d'Hudson avait été octroyée aux Anglais par traité... Tout ça pour rien! Et, bien sûr, on ne lui donna rien. La guerre reprit et Radisson offrit à nouveau ses services aux Anglais...

PETER-SPIRIT RADISSON: THE END OF A DREAM

Il écrit en Angleterre ses fameux souvenirs intitulés Memoirs of Peter-Sprit Radisson. Un livre fabuleux pour ses récits détaillés des tortures pratiquées par les Iroquois.

Il se marie. Puis l'argent ne vient pas pour une nouvelle expédition. Il revient en France pour offrir ses services.

Puis il meurt, pauvre et anonyme, en tant que simple concierge d'un vieil immeuble de Paris.

On dira ce qu'on voudra, c'est la plus grande figure historique du Canada: un homme traître à tous mais fidèle à soi-même. Un homme libre qui gagne sa croûte comme il peut. Un polyglote, cosmopolite, citoyen du monde, qui peut se vanter d'être à la fois Français, Anglais et Iroquois!

Chagon Orimha! Courage Pierre! Ton temps viendra.

Faites un film sur sa vie, ça presse! Le scénario existe dans les livres d'histoire, tout fin près. Succès assuré au box office: beaucoup de sang et de violence, une histoire d'amour impossible, un destin plus grand que nature qui finit tragiquement.

Si vous voulez que je l'écrive, le scénario, eh bien j'attends votre offre. Je pourrais écrire un petit quelque chose, en me forçant un peu. Autrement, je vous offre ceci ou cela.

5 commentaires:

  1. Sais-tu ce que j'aime de toi? C'est que je comprends ce que tu écris.

    Sais-tu ce que j'aime de toi (prise 2)? Il ne te viendrait pas à l'idée de me traiter en sous-être, comme la majorité des intellos, si j'arrivais pas à comprendre tes textes.

    Comme Pinard démystifie la bonne cuisine et les maudites rÉcettes complexes, tu démystifies la littérature! Tu la rend belle, chaleureuse et du coup, complètement accessible au commun des mortels ... C'est ta grande force.

    Pour ça, tu as toute mon admiration et évidemment mon amour!

    (S'cusez fallait que je l'écrive! Bah oui j'suis pas objective, ouin pis ... on s'en criss)

    Radisson, ?@*/@£ j'avais vu ça quelque part sur une pancarte d'un édifice à Trois-Rivières ... l'histoire manquait à ma culture pré-prolo-bio-tique!

    ps. anecdotique: À chaque promenade avec l'ours-guide-touristique, il nous raconte toutes sortes de belles histoires de son coin de pays. On a même droit parfois, à un petit radotage ...

    C.

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  2. Wow, je lisais ça pis je me disais, faut pas que j'oublie de lui demander si il a écouté la série des remarquables oubliés.

    J'ai ma réponse.

    Pourquoi quand je passe par Twoua Iviaiwes, je pense jamais que c'est un lieu riche en histoire, pas juste en claw board(che nous on dis du clabord)?
    On dirait que c'est voulu.
    Voudraient devenir Terrebonne qu'ils feraient pas autrement.

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  3. Salut Gomeux. Twois-Wivièwes est une ville difficile à saisir. Il y a un nombre important de freaks. En fait ils sont partout. Mais ils ne votent jamais. Donc, la ville est toujours sous le contrôle de restants des années '50, des types qui trippent sur la pollution et la course automobile, des incultes pour la plupart qui se vantent haut et fort de savoir à peine lire et compter.

    Twois-Wivièwes se dit une ville d'histoire et de culture, et elle l'est certainement, mais le haut du pavé est occupé par des insignifiants.

    Ça tend à changer. Les conservateurs n'ont pas élu un seul de leurs malabars dans la région. Il ne reste plus qu'à larguer le maire et ses renifleurs de pets qui tentent de faire de notre ville le plus grand stationnement à ciel ouvert entre Montréal et Québec.

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  4. Radisson, ce joyeux drille de Provence né à Avignon, personnage particulièrement brillant et attachant, mais il n'a jamais été le traître que vous décrivez et que décrivent d'ailleurs tant de gens .. J'ai fait de nombreuses recherches pour mon dernier livre, aussi je peux vous en donner les preuves, tout comme il a été respecté par les Odinssonis et particulièrement par les Onnaontagués car ils l'avaient adopté comme un des leurs et c'est pour cela qu'il a pu circuler autant avec son beau-frère Médard Chouard, sans jamais être inquièté.. de même sa longue vie est particulièrement à souligner tout comme celle de Jhandich que vous connaissez sans doute, du fait que ces Français étaient adopté il semblent qu'ils aient eu double vie ...Bien cordialement à vous cigalemh

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