Je pense que c'était en 1992, peut-être en octobre, mais je peux me tromper.
Il pleuvait ce soir-là et, célibataire et solitaire, je m'ennuyais ferme entre les quatre murs de mon appartement. J'ai donc commencé ma soirée par un arrêt au dépanneur, une grosse king can de bière dans un sac brun, que j'ai bu d'une traite à travers les ruelles désertes du quartier Ste-Cécile, à Twois-Wivièwes, jusqu'à la SAQ de la rue Laviolette où je me suis réapprovisionné en vodka, un petit supplément de courage avant d'affronter le centre-ville et ses créatures de nuit insolites.
Évidemment, c'était à l'époque où je pouvais boire ferme, il y a fort longtemps. Ce n'est pas que je sois au régime sec aujourd'hui, mais je ne suis plus le même beat qu'à cette époque. J'ai plus de courage quoi. J'affronte la meute à jeun sans baisser les yeux. Et je n'ai plus mal à la tête.
En '92, que je le veuille ou non, il fallait que je boive ferme. Je pense que je pouvais honnêtement postuler au rang de roi des ivrognes. Mon idole était Le Grand Duc dans Lucky Luke, un aristocrate russe qui se claque de la vodka tout le long de l'épisode. Et je m'en claquais de la vodka, sans compter toutes les autres potions magiques. Rien n'arrivait à ma jeter à terre. J'avais une résistance du christ qui faisait que mes sorties me coûtaient cher en tabarnak. Pour réduire les coûts, je me faisais un petit fond au dépanneur et à la SAQ. Ensuite, il ne restait qu'à entretenir un peu l'ivresse, à deux bouteilles à l'heure plus une lampée de Cheminaud de temps en temps, dans un café avec de la crème et deux sucres.
Ce soir-là, j'étais arrêté au bar Le Bibob où il m'arrivait de croiser une fille avec qui j'allais baiser tout de suite sans passer ma soirée à me morfondre à en chercher une. Elle ne m'aimait pas. Je ne l'aimais pas. On faisait juste ce qu'on avait à faire. Et c'était bien en masse. J'appréciais son absence d'émotion, absolument nécessaire pour moi en cette période-là de ma vie, histoire de me ramener sur le plancher des vaches et me faire entrevoir l'autre porte, celle qui mène aux anges.
Je suis un gros hostie de lover. Premièrement, je cherche l'amour, comme à peu près tout le monde, et quand il me tombe dessus, ben je suis comblé. Je suis stable et fidèle en amour parce que j'ai vu ce qu'il y avait de l'autre côté et, no way, je n'ai pas envie de retourner vers les créatures de la nuit. Je suis trop bien. Heureux comme un roi.
En '92, je n'étais pas vraiment heureux. Je me morfondais. Plus je buvais et plus je déprimais, c'est évident.
Ce soir du mois d'octobre '92, au Bibob, je suis tombé sur personne. J'étais seul au bar à me commander des drinks tandis que Jean, le barman et propriétaire, me parlait des arts et des lettres, pour tester si j'étais à la hauteur de ma légende, un cascadeur des arts et des lettres doublé d'un rat de bibliothèque. Je lui ai mis le paquet, bien entendu, jusqu'à ce qu'arrive une belle grande brune, Sophie ou Karine, je ne plus trop, qui vint s'asseoir auprès de moi, l'air de rien.
Nous nous sommes présentés et, plutôt que d'aller s'asseoir ailleurs, elle est demeurée au bar à discuter avec moi.
LA SUITE...
J'apprends qu'elle est violoncelliste à l'Orchestre symphonique de M*** . Elle voudrait que l'on change de bar pour mieux discuter, puisque la musique est trop forte ce soir-là au Bibob.
J'ai ma chance! que je me dis. Si je ne fais pas trop le fou, ça va finir dans le lit. Tacataca-tac. Youppi.
Je l'amène donc, sans réfléchir, au Pub 137, non loin de là, un bar où l'on s'entend parler mais où, je l'oublie, l'on ne rencontre que des ivrognes qui, de plus, sont mes amis.
J'arrive au bar avec Sophie-Karine et, bien sûr, je mérite tout un accueil.
-Oua! Butch! Butch Bouchard! Salut Bouchard! Salut Butch!
-Ouin, ouin, salut, que je dis sur la défensive, comme si je craignais le pire. Et le pire c'est que je sois avec cette fille parmi ces ivrognes. Qu'est-ce que j'ai pensé?
On s'asseoit au bar et on se commande quelque chose. Jeff, un barman géant de six pieds cinq, rit dans sa barbe même s'il est imberbe. Il se passe de quoi. Mais quoi?
-T'es demandé au téléphone Guétan! me dit Jeff.
Je prends le téléphone et j'entends quelqu'un gueuler au bout de la ligne.
-Oua Butch! Tu t'es amené une belle poule pis tu vas gicler su' tou' 'es murs de ta chambre mon hostie d'cochon du christ!
Je ne dis rien. Qui m'appelle? Sophie-Karine me regarde d'un air songeur. Que dire?
-Est pas pire la grande brune. J't'i licherais ben les boules, moé, pis la moule, pis toute. Hostie d'chanceux du calice! Mon hostie d'cochon toé! Hummm... C'est bon... fourrer! Hummm....
-C'est qui qui parle? que je réplique.
-C'est Béland! Ciboire! J'suis dans 'a cabine téléphonique juste en face my sweet fuckin' fucker!
-OK. Demain à trois heures et demi, que j'ajoute.
Et je dépose le combiné.
-Qui c'était? Un ami? me demande Sophie-Karine.
-Ouais. Il veut que je l'aide à déménager demain... Un poêle, un frigidaire... J'suis toujours en train d'aider l'monde moé... Veux-tu un autre drink? J'te l'offre.
Jeff me tend deux portos ainsi que le téléphone.
-Y'a encore quelqu'un qui veut t'parler Butch!
Jeff rit encore, le sacrement.
Il essaie de ne pas rire mais ça ne marche pas. Je deviens nerveux. Sophie-Karine s'impatiente.
-Hee... Oui? que je demande.
-Butch! Butch! Big Butch! Tu vas pas t'crosser à souère big Butch?
Je regarde de l'autre côté de la rue et je vois Rob Bob dans la cabine téléphonique.
-Oui, oui, je lui ai dit demain après-midi à quatre heures! Et je raccroche.
-Tu ne lui avais pas dit trois heures et demi? me dit Sophie-Chose.
-Heee... I' va m'rappeler. C'était un autre gars. Maudits fatiguants! Lâchez-moé! Ah! Moé pis ma manie d'aider les autres!
Sur les entrefaites, voilà que Ti-Ben arrive, l'aîné des bums, qui vient poser ses lèvres d'ivrogne sur la main de ma promise...
-Je suis enchanté de vous connaître madame et je ne puis que vous offrir ce baise-main pour vous remercier, au nom de toute l'assemblée, d'honorer ce bar de votre si ravissante personne!
Il sent le pot et le fond de tonne et sa barbe doit bien avoir quelques mois. Mes chums, dans le coin, s'esclaffent. Et ça se met à scander: «Bouchard! Bouchard! Bouchard!»
-Pourquoi qu'ils crient ton nom? qu'elle me demande.
-J'sais pas... Ils sont saouls.
-Bouchard! Bouchard! Bouchard!
-Y'a encore quelqu'un qui veut t'parler Guétan! Héhéhé! me dit Jeff en me retendant le téléphone.
-Pis Butch? Tu vas-tu t'mettre ou tu vas t'crosser? Faudrait qu'tu déniaises hostie. Frenche-là dret-là pis tu vas l'savouère tu-suite si A veut. Si vous voulez vous mettre dins chiottes j'va's les surveiller pendant qu'tu fais cuire ta crêpe. Hein, mon hostie d'gros Butch?
C'était Urbain Pesant cette fois-là, le célèbre poète qui a joué au football pour Les Diablos. Mon alter ego. Le seul qui me bat au tir au poignet.
-Oui, oui, demain à cinq heures! que je dis en raccrochant.
-À cinq heures? réplique Sophie-Karèque. T'as dit trois heures et demi à l'autre pis quatre heures à l'autre... Pis là cinq heures?
-Hee... Ben... J'va's tous les rappeler demain. Excuse-moi, Sophie, mais j'te propose de venir chez-moi si tu veux bien... J'ai du Charlie Mingus, du John Coltrane, et j'ai même la trame sonore du film Tous les matins du monde... J'ai une bouteille à la maison... On pourrait continuer la discussion, si tu veux bien...
Et là, fiou, elle veut bien!
-Jeff, que je dis pendant que la soupe est encore chaude, appelle-moi un taxi s'il-vous-plaît!
Le taxi se gare devant la porte moins de deux minutes après l'appel. On vide nos verres d'un trait et on quitte le bar sous le standing ovation de mes amis qui scandent mon nom en tapant dans leurs mains... ou bien en simulant un acte sexuel.
-Bouchard! Bouchard! Bouchard!
Nous embarquons dans le taxi. Je donne la destination au chauffeur. Et là, je les vois tous derrière le taxi à taper dans leurs mains et à scander mon nom.
-Bouchard! Bouchard! Bouchard!
Tabarnak! Si je réussis à me mettre ce soir-là, sûr que ça va tenir du miracle, que je me dis en moi-même en souriant à ma promise comme si de rien n'était.
-Ils sont toujours comme ça tes amis?
-Des amis... Faut l'dire vite... Des connaissances... Ils sont saouls et ils voulaient me taquiner.
On arrive chez-moi. Je ne prends pas les messages sur mon répondeur. Je sais que la boîte vocale doit être remplie de propos vulgaires et grossiers de mes camarades de boisson.
J'ouvre une bouteille. Je mets Charlie Mingus dans le système de son. Et nous parlons, tant bien que mal. J'ai la gorge sèche. Je joue le tout pour le tout. Je pose ma main sur sa cuisse puis je m'approche de ses lèvres. Elle reste froide comme une statue de plâtre. Fuck!
Je retire ma main et balbutie quelques excuses.
-Excuse-moé... hee.... j'suis hétérosexuel... je l'avoue.
Ou quelques conneries du genre.
Du coup, je n'ai plus le goût de parler. Et elle aussi.
-Bon ben, bye. Faut qu'j'y aille.
-Ok bye Sophie...
Elle est partie. Je suis seul comme un con chez-moi. Il n'est même pas minuit.
Une heure plus tard, ça cogne à ma porte.
Ils sont au moins cinq. Cinq de mes chums saouls raides qui viennent aux nouvelles pour savoir si je me suis mis.
-Fuck! Y'est une heure du matin les boys!
-Come on Butch! Laisse-nous entrer, on vous dérangera pas...
-Est partie, gang d'hostie d'caves!
-Quoi? Est partie?
-J'va's être obligé de m'crosser à cause de vous autres, gang d'épais!
-T'aimes-tu mieux qu'on r'passe Butch?
-Ben non... hostie... j'va's me r'tenir. J'ferai ça une autre fois.
Bon. J'avais raté l'amour ce soir-là. Il ne me restait plus qu'à me rabattre sur l'amitié.
-Faites-moi pas ça trop souvent les gars parce que j'va's vous en calicer un su' 'a yeule la prochaine fois. Et j'suis ben sérieux.
-À ta santé gros Boutch! Quoi? Faut ben rire?
-Mes hosties d'tabarnaks vous autres...
Clink! Les bouteilles claquèrent dans un concert de rires tonitruants. Lee Scratch Perry remplaçait maintenant Charlie Mingus. Ce serait une autre nuit entre gars paumés et célibataires. Une nuit d'épais. Une nuit de caves.
LOL!
RépondreEffacerBonne journée, à toi et à tous!
Les maudites artisses!
RépondreEffacerToutes des agaces!
J’aime beaucoup les témoignages. Ils ont de généreux et de respectueux qu’ils ouvrent très large sur soi, pour l’autre, qui prend ce qu’il veut bien prendre.
RépondreEffacerCela peut aussi être une perche tendue à un ami.
Cela peut être tout et rien à la fois.
Toujours est-il que j’ai apprécié.
Pour Misko:
RépondreEffacerMegwetch wiikaane Misko.
Pineshìnjishag miskoziwag.
Miskwà makadewà.
Makwa Grizzli
Pour Gomeux:
Pas tout le temps...
Pour Venise:
Je n'écris pas pour parler de moi mais pour parler de tout le monde. Je ne suis qu'un prétexte. Je est un autre, disait l'autre. Et l'autre c'est Rimbaud, ouais.
épique.
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