jeudi 27 janvier 2011

Au bout du monde

On dira ce qu'on voudra, tout ce que l'on dit sur le talent et les compétences relève de la supercherie. Dans notre monde trop réel, tout n'est que singeries et apparances. Il faut faire semblant de. Porter la calotte et l'uniforme appropriés. Rire quand tout le monde rit. Et se taire si quelqu'un pleure.

On voudrait bien que tout ne soit que grandeur et excellence. En fait, tout est petit, mesquin et ridicule. Tout repose sur des conventions qui ne sont suivies par personne. On s'invente des règles pour les autres et on vit pour soi-même. On donne des médailles aux lâches. On offre la prison aux braves. On récompense les paresseux. On punit les travaillants.

Éloi Duranleau avait décroché complètement de ces «on» qui n'incluaient jamais la personne qui parlait. Il avait trouvé des tas d'exception à toutes les règles et se disait sagement que les exceptions détruisaient les règles. Il ne voyait autour de lui que des automates et des automatismes. Peu de sincérité. Du mensonge à tour de bras. Et de l'hypocrisie accotée dans le plafond. Sans compter que l'air était devenu irrespirable et que les piétons se faisaient happer aux coins des rues par des tarlais qui n'auraient jamais dû obtenir un permis de conduire.

Ce qui fait qu'il était parti, fort loin, au bout de la route. Et le bout de la route, en l'occurrence, c'était Glouscapville. Après Glouscapville c'était la toundra. Et après la toundra, l'océan glacé.

Duranleau s'était donc installé aux limites de la toundra, à une heure de marche de son travail, comme s'il était la créature de Frankenstein.

Et quel était son travail? Lui-même ne savait quoi dire à ce sujet.

Il vivait de ceci ou cela, sans trop se casser la tête, comme un habitant du Nord. Under the table, si vous voyez ce que je veux dire. Et il était enfin heureux, libre et loin de tous les cancans urbains.

-Je r'tournerais plus vivre dans la grande ville! qu'il disait souvent. Y'a juste de la folie dans le Sud! Sont tous en train de péter une coche!

Avait-il tort ou raison? Je ne saurais le dire. Mais le fait demeure qu'il avait ressuscité à Glouscapville. Il s'était même fait une blonde, une famille et tout le reste.

Le soir, tout ce beau monde contemplait le lac glacé, les épinettes, les aurores boréales et les étoiles.

-Tabarnak que j'perdais mon temps à Montréal! disait souvent Duranleau en se félicitant de la chance qu'il avait de s'être installé au bout du monde.

4 commentaires:

  1. Trouver son bout du monde sans sortir de son fauteuil, la sagesse?

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  2. Le début du bout du monde, c'est la fin d'être du monde. Pis quand t'es pas "du monde" comme notre Gaétan, ainsi que mon gros moi-même, ben tu te paies un gros criss de cornet de crème glacée à deux boules, pis tu le liches à -10C dehors en regardant les badauds au regard ébahi. Ça c'est d'la grosse déprogrammation en tabarnak, pis ça coûte presque rien ! :-)

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