dimanche 30 novembre 2008
LA CRISE DE L'ÉDUCATION VUE PAR MON FRÈRE CHRISTIAN
J'ai reçu de mon frère Christian, professeur au niveau collégial, un courriel que je m'en voudrais de ne pas partager avec vous. J'imagine qu'il ne m'en portera pas rigueur de le publier ici sans le lui demander. Il est huit heures et cinquante minutes du matin et je ne compte pas le réveiller pour si peu.
Mon frère en découd avec certains discours qui foisonnent dans le monde de l'éducation, discours qui nivellent vers le bas l'acquisition du savoir et confinent les édudiants à un rôle de clients qui s'achèteraient une formation en RCR, tout croche tout de travers, avec un diplôme bidon qui ne signifie rien de plus que l'étudiant-client était bel et bien présent sur les lieux quand le formateur-enseignant a nommé son nom.
À la suite de sa lettre, vous trouverez la réponse que je lui ai envoyée.
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LE COURRIEL DE MON FRÈRE
Note: Ce courriel a été envoyé à quelques professeurs et amis. GB
Objet: Une entrevue sur la crise que traverse l'éducation...
Bonjour,
En fichier joint, vous trouverez une entrevue avec Marcel Gauchet, publiée dans le récent numéro du magazine français Le Point. L’école est en perte de sens. On lui demande n’importe quoi, et on oublie de lui demander ce qu’elle devrait offrir : transmettre des connaissances. L’obsession pédagogique supplante le goût du savoir. Or, la pédagogie ne sert à rien si les profs ne savent rien. De même, le savoir ne sert à rien si les profs le transmettent pour rien. La culture, je ne cesse de le répéter, n’est pas qu’un savoir, c’est d’abord et avant tout un rapport au savoir. Lequel traduit un rapport au monde.
Aucune réforme pédagogique ne viendra à bout de l’ignorance si l’on n’examine pas avec tout le sérieux nécessaire les attaques répétées du marché contre la tradition humaniste. Je termine actuellement la lecture d’un essai de Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l‘ignorance (Paris, Éditions Climats, 2006). Michéa est aussi un spécialiste d’Orwell. Il croit avec l’auteur de 1984 que toute volonté politique se trahit par les mots qu’elle promeut. Les lois du marché trouvent inutiles l’esprit critique et l’imagination du citoyen. Elles ne s’intéressent qu’au consommateur. Dans l’être humain, elles voient celui qui désire et qui achète; elles ne voient pas celui qui analyse et qui réagit en fonction de ses pensées. On commence par dire que l’étudiant est un client, et on s’étonne ensuite qu’il négocie le prix de la marchandise. Un client n’entre pas dans une école pour apprendre, il y entre pour acheter un produit appelé « diplôme ».
Je tenais ce langage dès que l’on a voulu me faire rentrer dans le crâne qu’un étudiant est un client, ce que je n’accepterai jamais. Je constate de plus en plus que l’on emploie des mots jugés innocents alors qu’ils sont porteurs d’une terrible maladie. Dans l’une de mes classes, près de 60% de mes étudiants jugés compétents en français à l’issue de leurs études secondaires (l’adjectif à lui seul devient éloquent) multiplient les erreurs de français et de logique. Mais on leur a dit qu’ils étaient compétents, et avec raison depuis quelques mois ils s’étonnent de voir leurs compétences mises à rude épreuve. À un vœu pieux s’est ajouté un mensonge. Sur un mensonge se greffe le désespoir.
Le savoir ne s’achète pas, il s’acquiert. Le goût ne s’achète pas, il s’éduque. Savoir, du latin sapere, « avoir du goût ». Je vais à l’école pour que la vie ait du goût. Voilà ce que je dis en classe. Et voilà ce que soutenait la tradition humaniste avant qu’on lui reproche de faire autre chose que du commerce.
On s’inquiète de voir les jeunes se nourrir si mal; on devrait s’inquiéter tout autant de voir leur cerveau si mal nourri. Avec du fast-food, on gave des estomacs paresseux; avec de petites « activités » et des ritournelles, on diplôme des esprits anémiques.
Le rêve des Lumières tourne-t-il au cauchemar? L’éducation pour chacun se réduit-elle à l’ignorance pour tous? Ne pas se contenter d’un oui à ces deux questions, justifie mon travail.
Salutations cordiales,
Christian
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LE COURRIEL QUE JE LUI AI ENVOYÉ:
Salut Christian,
C'est plein de bon sens, ce que tu écris, mais savent-ils lire au Ministère?
J'ai sauté les plombs en 1992, pendant ma maîtrise en philo. J'ai cru, avec raison, que l'on ne m'enseignait que de la merde. Les bibliothèques et la vie pour ce qu'elles sont en elles-mêmes contenaient plus de science qu'il n'y en avait parmi cette clique de doctes ignorants qui m'enseignaient tant bien que mal des niaiseries sur la chaise en tant que chaise.
Les asiles débordent d'ex-étudiants qui n'ont jamais compris la chaise en tant que chaise. Et je ne blague même pas! Notre système d'éducation est une usine à produire des chocs nerveux et des désespoirs abyssaux. Seuls les plus caves réussissent. Les autres subissent. Et ils se révèlent un jour au monde par leurs propres moyens: oui, j'ai réussi mon cours de maternelle... Voici mon diplôme: je l'ai jeté aux poubelles.
Massif termine sa première session au Cégep. Il trouve les pré-socratiques soporifiques mais s'intéresse fermement à Diogène de Sinope (ma mauvaise influence peut-être?) ainsi qu'aux philosophes chinois. Cela me rassure. Il ne sera pas un imbécile.
On leur enseigne à détester la philosophie ou la littérature. On leur fait lire Les misérables en version abrégée et les pré-socratiques en version fleurdelisée. La pré-maternelle est plus exigeante à plusieurs égards.
Je pense à M***, C***, Rob-Bob et combien d'autres drop-out que j'ai
connus qui transcendaient en termes de savoir tout ce que l'institution leur offrait: un brouet immonde de dates et de statistiques, de commentaires stupides et de livres du Ministère de la Vérité. Nous nous en allions seuls sur les chemins de la vie avec Rimbaud, Prévert, Lao-Tseu, Darwin, Einstein, Miller et combien d'autres! On préférait la société des poètes disparus à la société tout court ou bien à l'école.
Vous êtes au front, Christian. Je n'envie pas ton rôle. Je sais qu'il est difficile.
C'est ce qui fait que Klimov était un géant parmi tous ceux qui nous enseignaient. Klimov se tenait debout avec sa pile de livres et nous en faisait lire trois cents par année, par goût bien plus que par obligation. S'il n'avait pas été là, nous n'aurions lu que des livres obligatoires, des livres probablement ennuyants, essentiellement des condensés, des extraits ou des exégèses...
S'il avait été possible de trouver ne serait-ce qu'un seul juste à Sodome, la colère du Ciel ne serait pas tombée sur la ville. Il y a quelques justes au Cégep, au Collège Laflèche et à l'UQTR. Vous ne subirez pas le sort de Sodome, pas cette année à tout le moins.
Dans le fond, l'institution a besoin de types comme toi pour sauver la face.
J'espère qu'ils vont te remercier de la leur avoir sauvée une fois de plus, comme à chaque année de ton magistère depuis que tu en saignes.
J'en doute cependant. Le rôle des crétins est de jalouser, pas de dire merci.
Sache que les drop-outs sont de ton côté!
Nous vaincrons... peut-être!
Gaétan
***
Sur ce, un air de musique.
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Dans une autre vie, il y a quinze ans, j'étudiais pour devenir prof. Les savants pédagogues nous expliquaient qu'il fallait favoriser l'ACQUISITION DE COMPÉTENCES TRANSVERSALES. Jamais su ce que ça voulait dire.
RépondreEffacerHello Gaétan remember me? =)
RépondreEffacerHere is my new interview for french magazine:
http://balkans.courriers.info/article11569.html
Rien d'innocent dans tout ça. Ce n'est pas par incompétence que l'empire bourre nos gamins de boulechite, mais sciemment. Je vous invite à prendre connaissance de mon texte sur Noël. Ça a rapport.
RépondreEffacerThanks Alex for sharing this.
RépondreEffacerYou're the greatest macedonian writer of the world.
You're gonna be published in French soon.
I wanna read Bukarski in French or even in English!
T'as fait le tour de la question sur Nowell, Éric. Accepterais-tu une pointe de tourtière pour ta contribution à la transmission du savoir sur Dieu ou le Père Noël?
RépondreEffacerAvec joie !
RépondreEffacertellement plein de sens, je suis heureux de ne pas avoir mit les pieds là-dedans.
RépondreEffaceren philo, j'y ai pensé pas mal, mais je pense que ça m'aurait détruit quand même un peu de l'intérieur en constatant comment le "savoir transigeait". avec les années, et les histoires que j'entends entre ces murs, je pense que j'ai bien faite d'aller en Technique et me cultiver "on the side".
avec le témoignage de ton frère, ça confirme exactement ce qui me et m'a fait peur dans les études.
(je vais toujours me rapeller cette conversation avec cet ex-beau frère diplomé de philo, esti, je voulais monter sur les murs..., moi qui pensais que, justement que... en tout cas)