Joseph Frédette alias Jos Fradette était un petit gros pas trop chevelu qui trempait dans toutes sortes de combines pour faire de l'argent. Comme il était un peu porté sur la boisson, il n'en faisait jamais assez. De plus, il finissait toujours par perdre le contrôle de ses affaires, suite à une brosse pathétique qui l'amenait près des frontières du delirium tremens, sinon de la stupidité la plus épaisse.
Je ne dis pas que tous les buveurs finissent ainsi. Mais Jos Fradette finissait toujours comme ça, lui. Et il le savait d'autant plus qu'il se traitait d'ivrogne et d'abruti, tous les jours, en regardant dans le miroir son visage cramoisi de fraise d'automne, parsemé de poils gris et hirsutes.
Jos Fradatte vendait des assurances et des moitié-moitié au hockey, desquels il encaissait toujours de quoi boire pour deux ou trois soirs. Il proposait toutes sortes de paris dans la journée et, bien sûr, il trichait aux cartes quand il jouait à l'argent.
Bref, Jos Fradatte semblait doté de bien peu de qualités morales, mais tout le monde le connaissait et tout le monde se reconnaissait dans cet hostie de trou d'cul. Parce que nous sommes tous un peu trous d'cul, surtout ceux qui ne savent pas qu'ils le sont.
Avec toutes ces belles qualités, plus un talent naturel pour faire boire les autres jusqu'à plus soif pour ensuite leur faire faire n'importe quoi, Jos Fradette a rapidement été attiré par la politique.
Fradette a commencé par se faire élire commissaire scolaire. C'était facile. Il paya la traite à une quarantaine d'ivrognes qui s'étaient déplacés avec leur famille, le matin, pour aller voter pour lui. Comme personne ne vote à ces élections, sinon trois pelés et un tondu, c'était un bon investissement. Il l'emporta haut la main, facilement. Cent trente-huit votes et quelques milliers de dollars de plus par année. Yes sir!
Fradette constata que c'était facile, la politique. Il fit le même coup, la même année, pour se faire élire conseiller municipal. Tout le monde était saoul à la taverne L'Entr'amis ce soir-là, encore une fois.
Puis l'année suivante, Fradette acheta sa carte de membre du Parti Démocratique et, après avoir saoulé tout le monde lors d'un dîner-bénéfice, devint le candidat officiel des pédistes aux élections.
Il l'emporta facilement et saoula encore toute sa bande. Ce soir-là, il était beau à voir, Fradette! Il dansa La Bamba et Kung Fu Fighting sur la piste de danse, bouteille de fort à la main. Même que son fraîchement nommé attaché politique lui conseilla vivement de battre en retrait pour éviter tout esclandre.
Du coup, la vie de Fradette devint plus triste, même si l'argent rentrait à flots. Il fallait qu'il tienne la ligne du Parti, lui qui n'était jamais capable de marcher en ligne droite sur une ligne blanche. Donc, il se mit aussi à renifler des lignes blanches mais continua de marcher tout croche.
La politique l'enrichissait dans la mesure où il se la fermait, il l'avait compris assez vite. Ce n'était ni un orateur ni un intellectuel. C'était seulement un combinard, Fradette. Et dans un monde rempli de combines, il fallait des combinards pour diriger, sans quoi le bateau s'en irait à la dérive. Bref, Fradette finit par se convaincre qu'il avait un rôle indispensable, même s'il s'ennuyait du temps où il pouvait se la saouler ferme devant tout le monde, en vomissant partout.
Député d'arrière-ban, Fradette devint plus réputé pour les bouteilles de porto qu'ils vidaient au restaurant du parlement que pour ses discours.
Il n'avait pris la parole qu'une seule fois en chambre, pour s'expliquer sur une subvention de quelques millions de dollars qui était retombée comme par miracle dans les poches de ses amis ivrognes qui subventionnaient par ricochet leur député et compagnon de boisson.
-Je l'savais-tu moé que c'était mes amis qui soumissionnaient!!! J'ai pas juste ça à faire, moé, lire des dossiers! J'travaille sacrement! avait déclaré le bouillant Fradette.
Quelques mois plus tard, il essuyait la première défaite politique de sa carrière en perdant son siège de député et l'argent qui venait avec. Néanmoins, il réussit à se faire réélire commissaire scolaire et conseiller municipal, et se contenta de ces sinécures plus modestes jusqu'à ce qu'il crève d'une crise du foie il y a deux ou trois ans.
J'oubliais de dire qu'il était marié. Mais on ne voyait jamais sa femme.
-C'est pas une sorteuse, disait Fradette.
Donc, je ne saurais rien vous dire de plus à ce sujet, sinon qu'on ne la voyait jamais, même pas dans les assemblées politiques.
Quand Fradette est mort, le journal local a écrit quelques bons mots sans plus. Fradette laissait dans le deuil sa femme, ses parents et ses amis, sans que personne ne soit nommé en particulier.
Certains prétendent que Fradette s'était inventé une vie. Qu'il était orphelin, sans famille et sans amis. Qu'il racontait tout ça pour camoufler une vie d'ivrogne et d'homosexuel...
Mais, croyez-moi, ce ne sont que des racontards. Joseph Frédette était bel et bien marié. Il avait des parents et des amis. De plus, il ne jouait pas du pipeau. Je le sais. Tout le monde parlait de ça à l'enterrement. Et Fradette, eh bien, c'était mon oncle.
J'en conclus que les gens sont nourris de préjugés envers nos grands hommes politiques.
Cela ne m'étonne pas.
On est toujours le trou d'cul de quelqu'un d'autre.
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