Toute vie semble se terminer par un naufrage.
Elle finit par traîner là, nulle part.
Cette vie-là avait terminé son naufrage au CHSLD Des Pionniers Valeureux.
Elle était un cas lourd et il n'y avait plus que le nom d'une intervenante sociale à son dossier.
On savait plus ou moins qu'elle avait été victime de maltraitance avant que de se retrouver dans cet état presque végétatif. Il fallait la nourrir à la cuillère et la faire boire. Il fallait aussi lui coller un timbre de nitroglycérine dans le dos et le lui enlever le soir venu. On lui injectait des quantités phénoménales d'insuline. Elle prenait des pompes. On lui mettait des gouttes dans les yeux. On étendait une crème sur du psoriasis qu'elle faisait dans le dos. Et tout ce temps-là, elle demeurait amorphe, les yeux perdus dans le vague de son naufrage...
Puis le numéro d'assurance sociale 244 788 998 redevint Madame Gervais.
Les membres du personnel soignant se parlaient entre eux et il devint évident qu'elle avait fait une dépression nerveuse sévère, cette dame, et qu'elle avait besoin de temps et de réconfort pour revenir du bon côté du miroir.
Heureusement qu'il n'y a pas que des trous du cul partout.
Les préposées du CHSLD Des Pionniers Valeureux étaient plus humaines que la moyenne. Ce qui ne faisait qu'alourdir leur charge de travail. Quand on aime moins, on laisse crever sans rien faire. Mais non! Elles avaient décidé de s'occuper de Madame Gervais, de la faire boire, de la nourrir, de la laver, jusqu'à ce qu'elle revienne un tant soit peu de sa torpeur.
Ce qui finit par advenir.
C'était hier.
Elle a bu son verre d'eau pour la première fois. Elle a même pris trois cuillérées de yogourt elle-même. Et, pour une première fois depuis des jours, elle a souri. Puis elle a parlé.
-C'est pas créyable comment c'que c'est qu'i' y'a d'monde pour s'occuper d'moé par icitte! laissa-t-elle tomber non sans émotion.
Les préposées de cette nuit-là, Rolande et Fatou, se sentirent des pincements au coeur.
Comme si elles avaient plus que fait leur job.
Madame Gervais revenait vraiment du royaume des morts.
Madame Gervais était encore vivante et mangeait elle-même son yogourt.
Demain serait une nouvelle victoire de la vie sur la mort.
Un combat à armes inégales entre la maladie et le staff.
Rolande et Fatou étaient tout de même fières d'elles.
-Oui Madame Gervais! Bravo! Vous mangez vous-même votre yogourt! Oh! C'est merveilleux!
-Merci... mais... je... suis... si... si fatiguée...
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