-Je vivrai, dussé-je traîner ma carcasse dans une boîte à savon montée sur roulettes!... Jusqu'à la fin les amis... Oui... Et ne me demandez surtout pas pourquoi...
-Tu es fou Bob. Moi je voudrais mourir pour moins que ça. Paf! Une balle dans la tête et c'est fini...
-Et tu crois que tous ceux qui vivent de peine et de misère, tout croche et tout de travers, n'y avaient pas pensé avant toi? Ils sont demeurés là parce que le coup d'une balle dans la tête et c'est fini ça ne fonctionne pas si bien que ça... Tu n'as pas idée à quoi l'on pourrait s'habituer Djo.
-Que veux-tu dire?
-Dans Tchekhov, je ne sais plus trop dans quelle nouvelle, je deviens vieux, je me souviens qu'il y a un vieux moujik qui dort toutes les nuits à la belle étoile avec son vieux cheval. Il n'a pas de maisons. Il dort à même le sol pluvieux ou enneigé. Et il remercie son dieu toutes les nuits en disant qu'il ne voudrait pas changer de place pour rien au monde. Tchekhov regarde ça d'un air tant étonné qu'il en rédige une nouvelle dans laquelle il se demande comment ce vieux moujik sale, malade, misérable, peut remercier Dieu alors qu'il dort dans la boue, au plus bas échelon de l'organisation sociale, sans personne ni rien que son vieux canasson... À moins que ce n'était un boeuf? Hum...
-Ah! Bob pis son Tchekhov... Faudrait bien que je le lise... On n'aurait pas dû mettre La ceriseraie au programme des lectures obligatoires du temps de mon Cégep... Ça m'a gelé pour tout ce qui s'appelait Tchekhov...
-C'est clair que les lectures obligatoires ça peut gâter un auteur pour la vie... On a failli me tuer lors de mon séminaire de littérature à l'université... Je me suis tapé les deux cent millions de volumes de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust...
-Et?
-Eh bien je me souviens que d'une seule phrase: il se pourrait que certains chefs-d'oeuvre aient été écrits en baillant... Hostie que j'ai bayé aux corneilles en lisant Proust... Peut-être que je lisais du Tchekhov pendant le cours sur Proust somme toute... Et encore! J'ai dû attendre d'avoir quarante ans pour l'apprécier pleinement. Tchekhov c'est un homme de quarante ans qui parlait alors à un homme de quarante ans. Ça rentrait mieux au poste.
-Ouais, ouais... Personnellement j'ai lu L'Être et le Néant de Jean-Paul Sartre pour finalement me rendre compte qu'il prétendait l'avoir écrit sous l'effet des barbituriques, avouant même qu'il ne savait parfois plus ce qu'il écrivait... Et, franchement, j'avais beau retourné ça dans tous les sens dans ma tête que je trouvais bien plus de néant chez Sartre que de consistance... Un petit point pour La Nausée. Il a tenté, vainement, d'imiter un peu Louis-Ferdinand Céline. Pour les générations futures Sartre n'arrivera pas à la cheville de Camus, c'est certain...
-Si tu le dis Djo. Et c'est pas moi qui vais te contredire. J'aime mieux Juliette Greco, Miles Davis et Boris Vian... Les zazous plutôt que les existentialistes...
-Bon et si l'on revenait au thème initial de cette conversation?
-Tu veux dire se tirer une balle dans la tête?
-Oui, c'est ça Bob.
-Ok. Eh bien comme tu peux le voir, la littérature nous épargne bien des misères et des souffrances... La vie de l'esprit est plus forte que la vie du corps. C'est ce qui fait de nous des humains. Voilà...
-Es-tu en train de me dire que tu as raison mon tabarnak?
-On n'a jamais raison. Surtout pas moi. C'est un poids trop lourd à assumer, la raison. J'aime autant être un calice de fou...
-Ouais. C'est pour ça qu'on a encore du fun... Quand je suis trop sérieux, moé, je lâche un pet.
-Tu feras ça plus tard si tu veux bien...
-Ha! Ha!
Les deux amis rirent de bon coeur encore quelques instants en s'échangeant le joint.
Puis ils grattèrent de la guitare en chantant des tounes de Led Zeppelin ou de Bob Marley.
Bref, ils ne furent pas malheureux.
Et ils ne se tirèrent pas une balle dans la tête.
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