mardi 19 mai 2020

Mes monstres

Tout jeune encore je ne dessinais que des monstres. Ou bien des gens que l'on jugeait Honorables que je caricaturais et que je recouvrais de déjections. Je savais dessiner, sans doute. Mais je dessinais vraiment n'importe quoi. Dont ma vie intérieure.

Mon dessin a suivi l'évolution de ma vie. Les monstres se sont progressivement effacés de tous mes décors. Les gens que l'on dit Honorables aussi. Du coup je me suis mis à me sentir mieux.

J'ai dû fréquenter la lie de la société pour me guérir de cette maladie d'être qui me faisait dessiner des monstres.

C'est au contact des plus humbles que mon vain orgueil a fondu.

Ce qui m'a procuré de l'amour par ricochet. On n'aime jamais celui qui s'aime trop. On peut l'utiliser, sans doute, mais l'amour n'est pas un jouet. Pas au sens où je l'entends.

L'amour ça commence avec les relations que tu établis avec tous les êtres vivants. Si tu romps le fragile équilibre du vivant, si tu te refuses à la bonté, eh bien tu ne recevras jamais le plus puissant amour qui soit. L'amour absolu, total et un peu cosmique.

Où est-ce que je m'en vais avec mes skis et mes pourquoi?

Je n'en sais rien. Je me mets à écrire sans plan défini, comme d'habitude. Mes doigts glissent sur le clavier et je ne m'appartiens plus. Ça sort tout seul.

Avant que d'écrire ces mots j'avais une impression en tête qui ne cessait d'y rouler. L'impression que l'artiste-peintre Arthur Villeneuve était indubitablement touché par la grâce.

Il a peint sa maison au complet. Au lieu de se chercher un lieu d'exhibition, il aura fait de sa maison un musée. Vous pourriez d'ailleurs le visiter et moi aussi. J'avoue que j'en rêve. Je n'ai vu ça qu'en images.

D'ailleurs, elles sont ici, les images. Je vous invite à les découvrir. Si ce n'est pas déjà fait.

Il n'y a pas vraiment de monstres chez Villeneuve. Seulement de la bonté et de la beauté à l'état brut.

D'aucuns me trouveront bien naïf. Ce que je ne suis pas tout à fait. Je suis allé trop longtemps à l'université pour être vraiment naïf. Tant pour l'art que pour le reste.

Néanmoins, je veux vivre la grâce et l'illumination que devait vivre Villeneuve en peignant les murs de sa maison.

J'ai peint la devanture de mon logement avec la complicité de mon propriétaire, de ma conjointe et de toute la rue en somme qui doivent subir ça pour longtemps...

Si je ne me retenais pas, je peindrais la maison au grand complet, intérieur comme extérieur.

Pourquoi? Parce que ce serait totalement inutile et pas payant du tout.

Peindre pour le pur plaisir de peindre, sans contraintes de temps ou d'argent.

Seul un grand artiste comme Arthur Villeneuve peut s'offrir ce paradis de l'art.

L'art, c'est comme le sucre à la crème. Quand tu n'en as pas, tu t'en fais. Ce vieux proverbe québécois plus ou moins paraphrasé est toujours de mise.

Revenons aux monstres...

Je n'en dessine plus. J'ai trouvé des gens plus honorables au cours de ma vie sur les têtes desquels je ne dessinerais pas des déjections. Il y a Arthur Villeneuve. Et vous, bien entendu. Pour les personnes qui abusent de l'autorité et de l'honneur, il est possible que je revienne de temps à autres à mes monstres. J'ai encore la main fragile...

Je ne vous laisserai pas sans vous glisser un mot à propos du Livre tibétain des morts.

-Quel est le rapport bon sang?

Attendez! Je n'ai pas fini. Vous vous êtes rendus jusqu'ici. Vous n'êtes pas pour me lâcher pour si peu.

J'ai lu le Bardo Thödol une nuit où je filais un mauvais coton. Si mauvais que je n'en ai plus jamais filé de semblables. Je lisais cette fabrication métaphysique en écoutant Coltrane ou Walter Boudreau sur les ondes de Radio-Canada, ma station de radio préférée quoi, parce que toutes les autres me font chier avec leurs hurlements inharmonieux de vendeurs de chars.

Dans le Saint Livre il est dit que le jour où l'on va crever l'on franchira plusieurs étapes qui mèneront à notre dissolution dans le Nirvana. Au premier stade on tombera sur un monstre vert avec des oreilles de lapin. Au second ce sera un autre monstre tout aussi laid. Et ainsi de suite sur plusieurs stades de la mort.

Si l'âme du défunt ne réalise pas que tous ces monstres sont un pur produit de son imagination, eh bien elle ne sera jamais libérée tout à fait et errera encore à combattre des monstres.

Au bout de quelques chapitres, je me suis fatigué. J'ai relu la première page. Ça disait que ce livre s'adressait à ceux qui n'ont pas connu l'Éveil. Que ceux qui l'avaient connu n'avaient pas besoin de lire ce livre.

Eh bien, vrai comme je suis encore là, j'ai connu l'Éveil cette nuit-là!

Quelque chose comme une illumination. Appelez ça comme vous voudrez.

J'ai mis le Bardo Thödol de côté. Je n'avais plus besoin de le lire. Je savais désormais que le monde était ma volonté et ma représentation, sans même avoir relu Schopenhauer. Une autre économie de lecture.

Les monstres? Pff. C'était moi qui les créais ou bien les alimentais.

Il n'y en aurait plus de monstres.

Seulement des gens joyeux qui se promènent dans la nature, tiens.

Ou bien qui fument une cigarette, je ne sais pas trop.

Vous croyez que j'ai fini?

Pas encore...

«On est ce que l'on mange.» C'est de Brillat-Savarin, gastronome de son état. Et mort depuis longtemps.

On est aussi ce que l'on peint, ce que l'on dessine, ce que l'on joue au violon.

Si je dessine des monstres, je deviendrai monstrueux. Du moins intérieurement. Et j'aurai besoin de toute une pharmacopée pour me tenir debout et vivant.

Si je dessine des gros nez et des gens heureux, je vais bien m'en tirer. Comme Arthur Villeneuve. Et je vais pouvoir terminer de peindre mes murs, mes plafonds et mes planchers...

Si je joue du violon... Eh bien souhaitez que je ne joue jamais du violon!

Là, j'ai vraiment fini.

Désolé de vous avoir fait perdre votre temps avec tant de moi.

La prochaine fois je ne parlerai que de vous, promis.








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