mercredi 16 octobre 2019

Ma petite vie

Ma vie a été ponctuée de petits boulots éreintants ou déprimants parce que j'étais solitaire, sans réseau de contact ni permis de conduire et que tout mon être rappelait quelque chose comme la pauvreté ou bien le dédain de l'autorité.

J'ai passé des journaux. J'ai déneigé des stationnements. J'ai livré de la bière à pied (sic!). J'ai été commis de dépanneur. J'ai été emballeur chez IGA. J'ai été étudiant en droit à l'Université Laval. J'ai été préposé aux bénéficiaires au CHUL. J'ai lavé des chiottes à l'UQTR. J'ai complété un bac en philosophie en deux ans à l'UQTR en travaillant 35 heures par semaine à titre de préposé aux bénéficiaires.

J'ai été manutentionnaire. J'ai été journalier dans une fabrique de palettes de bois. J'ai manutentionné et scié à moi tout seul des cèdres rouges de 30 pouces de diamètre et 15 pieds de longueur. J'ai vendu des dessins pour des affiches de spectacles. J'ai été vagabond quelques jours. J'ai été musicien de rue avec mes harmonicas et des flûtes que je me plantais dans le nez. J'ai travaillé dans une pizzeria à Whitehorse. J'ai sauté sur un train à Regina pour me réveiller à Saskatoon. J'ai déplacé du stock dans des hangars à Thunder Bay. J'ai fait du pouce d'un bout à l'autre du Canada. J'ai fait la file devant les banques alimentaires et les soupes populaires. 

J'ai été agent aux communications et directeur des communications d'un festival montréalais après avoir conçu un faux cévé où je m'attribuais un bac en communication. «Comment c'était tes études en communication?» «C'était bin l'fun...» Fin de l'entrevue. J'ai démissionné parce que j'en avais plein le cul de la boss qui se servait du staff en place pour travailler sur ses campagnes électorales de pseudo-sociale-démocrate qui ne prend pas le métro parce que ça pue. 

J'ai refait la file devant la banque alimentaire deux ans plus tard. Je suis reparti ici et là. Un mois d'aide sociale à Québec et retour à Vancouver au lieu de me faire chier à crever chômeur au Québec avec le Ministère de l'Éducation dans le cul pour faire rembourser mon bac même pas reconnu par la Salvation Army... Misère. Malheurs. Peine d'amour. 

Puis la vie recommence. Agent de développement pour une troupe de théâtre musical pour enfants. Animateur de radio puis directeur de radio à Labrador City. Cuisinier dans une pizzeria à Québec. Directeur de la programmation de la radio CFOU à Trois-Rivières. Congédiement pour avoir dénoncé le manque d'organisation et de transparence de la radio. Perte d'emploi. Perte de repères. Perte amoureuse. Peines d'amour multiples. Désillusions. 

Mais encore une fois je m'obstine. Chômage, aide sociale, banque alimentaire. Je fais la file devant la banque alimentaire située juste en face du logement de mon ancienne blonde dans la vieille Capitale... Je me sens foutu. Je vais à la bibliothèque tous les jours. Je vis dans une chambre sordide et mal aérée près du mail Saint-Roch. Tout est laid et triste autour de moi. J'entends mes voisins de chambre se masturber. Je me mets des bouchons de nuit et le jour je m'enfuis dans les bibliothèques. Je marche. Je pense. Je déprime. 

Puis radio Basse-Ville m'offre un micro. J'y tiens une émission hebdomadaire et j'aide les autres à la mise en ondes. Cela me permet de me refaire un réseau bien que je sois toujours seul. Je deviens agent de financement pour une coalition d'organismes communautaires. Les conditions de travail sont tout aussi excellentes que le milieu. Mais je m'ennuie. Et je souffre pleinement de solitude. 

On me propose, à Trois-Rivières, de devenir directeur et rédacteur en chef d'un journal de rue. On se souvient de moi du temps de CFOU et on se dit que je suis tout de même un gars qui ramenait du fric, même si je n'en jamais vraiment eu. Je suis excellent pour que les autres fassent de l'argent avec moi. Je sais très bien le chemin qui peut exister entre cuisinier dans une pizzeria et notable des communications. Je m'occupe de créer des plateaux de travail pour les jeunes chômeurs via le journal de rue Le Vagabond. J'y suis travailleur de rue autant qu'administrateur. Un vrai boss des bécosses. On me congédie au bout d'un temps parce que j'ai dit fuck off au comité de lecture qui voulait censurer nos textes. On m'a dit de ne pas mordre la main qui nous nourrit. Je leur ai dit d'aller chier.

J'ai atteint le fin fond du fond ensuite. Malade, pauvre et dans une situation de nouveau couple avec un enfant. La honte. La file devant la banque alimentaire. Pas un rond pour prendre l'autobus. Traverser la ville beau temps mauvais temps en déposant mes cévés partout alors que l'on me considère comme un pestiféré d'anarchiste fouteur de troubles... 

J'ai été croupier de Black Jack pour un truc événementiel. Puis j'ai été transcripteur de conversations en anglais entre des Cris et des responsables de la Société d'Énergie de la Baie James. Je ne faisais pas le gros salaire parce que j'étais embauché par une firme de placement qui prenait sa cote sur mon statut de serf moderne. 

J'ai vivoté d'un contrat à l'autre, sans jamais être sûr de quoi que ce soit. Puis j'ai fait un peu de terrassement. Un peu de rédaction technique. Un peu de traduction. J'ai touché le fond de la misère un soir en mangeant la même querisse de soupe aux choux que j'avais mangée toute la semaine avec du vieux pain de la banque alimentaire. Je n'avais rien d'autre. J'ai salé la soupe avec mes larmes. J'ai prié l'univers et surtout feu mon père de me sortir de cette merde. 

Le lendemain, je devenais assistant-superviseur pour une fondation quelconque qui m'assurerait, à tout le moins, de meilleurs repas sur la table. 

Ça s'est poursuivi jusqu'à tout récemment. Je suis redevenu préposé aux bénéficiaires en suivant des tas de formation et en travaillant à temps plein. 

Je n'ai pas de plans de retraite. Aucune couverture médicale. Rien pour les soins dentaires. Je n'ai pas grand chose pour dire vrai. Sinon ma force de travail que je vends au plus offrant, comme d'habitude, parce qu'il m'arrive d'avoir faim.

Je manque de temps.

Écrire, dessiner, peindre et travailler en même temps, c'est épuisant pour tout le monde.

Même pour ceux qui pourraient avoir quelque talent.

Je ne veux pas me plaindre. Juste comprendre que j'ai le droit de me prendre moi-même en pitié. Ça ne m'arrivera pas souvent.

Quand je parle de la misère, je n'en parle pas en fin observateur.

Je l'ai connue et l'ai vécue.

Je sais bien que d'autres ont vécu pire. 

C'est parce que je le sais que je ne vous parlerai pas souvent de tout ça.

Si j'allais plus loin là-dedans je récrirais Le désespéré et La femme pauvre de Léon Bloy...

Le monde est cruel, injuste et immoral.

Il me faut y cheminer tout en sentant le talon de fer me peser dans la face.

C'est parfois lourd à porter.

Une chance que j'ai de l'amour et de l'amitié dans ma vie.

Tout ce qui peut me faire oublier qu'en ce monde seul l'Argent triomphe.





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