Ma mère votait parce que mon père n'arrêtait jamais de l'écoeurer avec ça: voter.
-Dis-toé au moins qu'on n'aura pas pu voler ton vote ma belle Jeannine d'amourrr! lui disait mon père.
-Ah toé pis tes maudites élections! Sont touttes des voleurs pis tu l'sais! lui répondait ma mère.
Mon père prenait autant à coeur la politique que le hockey. Il finissait par confondre les deux genres. Il y voyait une lutte à mort entre les Rouges et les Bleus où tous les coups sont permis. Faut dire que ça jouait dur dans les années '50 et '60. L'Union Nationale achetait des fiers à bras qui crissaient des volées à ceux qui allaient à des assemblées des Rouges. Des vrais hosties de fascistes comme vous n'avez pas idée si vous n'avez jamais entendu parler ou vécu cette époque.
Lui, Conrad, c'était un Rouge. Pas au sens communiste du terme. Mais pas loin.
Mes parents étaient tous deux des gens du peuple.
Mon père provenait d'une famille d'une vingtaine d'enfants de Sayabec, qu'Arthur Buies avait décrit comme le coin le plus pauvre du Québec. Il y avait deux repas par jour pendant des années: de la morue et de la morue. L'hiver, les Bouchard allaient à l'école à tour de rôle parce qu'il n'y avait qu'une paire de bottes de caoutchouc par trois enfants. On leur disait de rester à la maison lors des photos officielles des élèves de la classe parce qu'ils avaient l'air trop pouilleux.
Bref, mon père était un Rouge. Il détestait plus que tout les conservateurs, l'Union Nationale et, avec le temps, le PQ et le Bloc.
-On apprenait l'histoire pis le p'tit catéchisme pendant que les Anglais apprenaient à lire pis à écrire saint-calice de tabarnak!
Mon père sacrait beaucoup. Je tiens ça de lui.
Il a voté pour le PQ en 1976. Parce que René Lévesque était un peu Rouge à ses yeux. Il a déchiré sa carte de membre du PQ en 1978 lorsque les péquistes ont inauguré la statue de Maurice Duplessis sur la rue Bonaventure, à Trois-Rivières.
J'oubliais de dire que mon père avait dû s'enfuir devant les policiers de Duplessis, alors qu'il soutenait les grévistes de Louiseville dans les années '50. Il avait vu ses camarades se faire matraquer. Il n'y avait pas de poivre de cayenne à l'époque. Seulement des traumatismes crâniens.
Bref, mon père était Rouge de colère.
Quant à ma mère, Jeannine, elle provenait d'un milieu modeste mais sans doute mieux structuré.
Il ne semblait pas y avoir d'opinions politiques de leur côté. En tout cas, pas du côté de ma mère.
Ma mère se foutait comme de l'an quarante des politiciens.
Elle était un peu résignée.
-Quand on est valet, on n'est pas roi! qu'elle disait.
Et moi d'argumenter avec ma pauvre mère que nous vivions à une époque où l'on décapitait les rois en criant vive la révolution...
-Sont touttes pareils! Une fois qu'i' sont au pouvoir c'est toutte au plus fort la poche! rajoutait-elle.
Elle était cynique sans arrière-philosophie, simplement en-dehors du jeu, comme si l'on ne voulait rien savoir de son avis quoi qu'elle dise.
-Qu'est-cé tu veux qu'on faize? Sont touttes de miêgme!
Elle me faisait rire bien plus qu'enragée, ma mère. Que pouvais-je lui reprocher? Elle ne le croirait pas aujourd'hui, mais c'est à cause d'elle que je suis artiste, anarchiste, hors du système. Elle n'intellectualisait rien, ma mère. Pas de grands mots. Pas de notions d'histoire et encore moins de géographie. Elle connaissait la rue Cloutier et trois ou quatre autres rues autour. Tout le reste du monde lui semblait éloigné et dangereux. Là-dessus, je ne lui ressemble pas. Cependant, je ne peux renier son influence. Je la comprends mieux en m'écoutant moins moi-même.
Un jour, ma mère revient des urnes. C'était peut-être aux élections fédérales de 1984. Je ne sais trop.
Mon père lui demande pour qui elle a voté.
-Bin j'ai voté pour la petite Tellier, t'sais, la fille des Tellier dans la P'tite Pologne...
-Tellier??? Jeannine!!! T'as voté pour celle qui se présente pour les marxistes-léninistes...
-Les quoi??? Les marsistesglininistes?
-Les ceuses qui sont comme en Russie pis qu'i' crèyent pas en Dieu!
-Ha! Ha! Ha! J'ai mon voyage! J'ai voté pour les communixxes!
J'ajoute que ma mère était dyslexique. Ce qui rendait toutes ses paroles drôles malgré elle et toujours attendrissantes.
La foi en la démocratie de feu mon père se ravive parfois en moi.
Peut-être que je finis par inciter ma blonde à voter, moi aussi...
À voter pour le NPD...
Pourtant, je me dis en mon for intérieur que c'est mouman qui avait raison.
Sont touttes des voleurs.
Avant les élections sont bin fins.
Pis après i' s'calice de toé.
Je garde cette carte dans mon jeu: la marginalité absolue.
Ce que je sais c'est que les pauvres ont toujours l'impression de perdre à chaque élection, quel que soit le vainqueur.
Alors que les riches, si je me fie au bilan des dernières années, sont toujours agréablement surpris et bien servis.
Alea jacta est. Le sort en est jeté.
Que le moins pire gagne.
Et le 22 octobre, que ce soit l'un ou l'autre, la lutte continue.
Quand on est valet, on se rassemble et on renverse les rois.
C'est pas plus compliqué que ça.
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