J'avais l'ego gros comme le monde dans ma vingtaine parce que j'étais pauvre, seul et sans amour.
L'ego compensait pour tout le reste. Je n'avais rien mais je serais l'homme le plus fier au monde. Je ne rentrerais pas dans le rang. Je défoncerais toutes les portes, partout, dans tous les milieux.
On ne veut pas que j'existe parce que je suis né à côté de la Wabasso? Parce que j'ai cette morphologie de brute des bas-quartiers et cet insupportable mépris des bourgeois sur mon visage? Tant pis. Je leur ferai honte sur toutes les tribunes. Kiss my ass fucking bourgeois.
Je porterai la pauvreté et la misère tel un flambeau.
J'étais donc en guerre contre le monde entier. Contre l'injustice, bien sûr, mais aussi contre l'univers. Mon sort n'était pas très reluisant. J'étais timide avec les femmes. J'étais un vrai connard.
Pour briser ma timidité, j'essayais n'importe quoi. Dont parler en public.
Je bégayais dans mon enfance. Ou bien je répétais trois fois la même chose.
Démosthène, le plus célèbre orateur de son époque, avait réglé le problème en se mettant des cailloux dans la bouche pour soigner son élocution. Je n'avais pas de cailloux. Mais j'avais des livres et beaucoup d'alcool pour me donner du faux courage.
Il faut dire qu'au Collège Laflèche, un collège privé que je me payais avec mon salaire de crisseur de sacs chez IGA, j'avais encore l'accent des bas-quartiers. On me faisait sentir que je m'exprimais mal, en plus de bégayer. Alors je me suis mis à réciter Shakespeare, Baudelaire et tutti quanti pour développer les muscles de ma mâchoire seul à la maison. Je n'avais pas de blonde. J'avais du temps. Et je finis par avoir une élocution plutôt radio-canadienne mâtinée de calisse et de tabarnak pour leur rappeler qu'ils peuvent bien tous aller se faire foutre avec leurs rituels métalangagiers qui distinguent l'élite de la plèbe. À vous donner l'envie de ne plus parler qu'en anglais pour vivre un peu plus libre et un peu moins pataud involontaire...
Je m'enfonce dans toutes sortes de détails autobiographiques puisque je me fais vieux. Mon voyage au bout de mes nuits n'est pas encore terminé...
Je ne voulais pas vous parler de moi. Le moi est détestable. Je le sais Pascal. Je me déteste autant que toi. D'ailleurs, je ne te lis jamais, Pascal.
Mais là n'est pas la question. Il n'y en avait pas de question. C'est seulement que je me prends les pattes dans mon récit.
Donc, j'étais jeune et haïssable, avec un ego qui n'était pas à la hauteur de mes réalisations.
Pour vaincre ma timidité, je m'affichais en public dans n'importe quoi, n'importe comment.
Une fois, c'était pour un championnat des Toastmakers. Ne me demandez pas c'est quoi. Je n'ai même pas l'envie de le googler. Tout ce que je sais c'est que je participais à ce championnat. Mon adversaire étant nul autre que le grand Martin Petit qui débutait dans sa carrière d'humoriste à l'époque. Il faisait six pieds quatre pouces et moi six pieds deux pouces. Il avait déjà l'avantage de la hauteur. Et il n'avait pas besoin de faire des discours devant un auditoire pour soigner sa timidité...
On nous donne un thème. Aller à l'école c'est la meilleure façon de réussir dans la vie.
Martin Petit doit défendre cette assertion et le jeu du hasard veut que je défende l'option contraire.
Autrement dit, je dois faire un speech qui laisse entendre que l'école n'est pas la meilleure façon de réussir dans la vie... parmi des étudiants de l'UQTR!
Je ne me souviens plus qui est passé le premier au micro. Je me souviens d'avoir bu et probablement fumé un peu d'herbe avant d'aller au micro, devant la foule de quelques dizaines de curieux rassemblés dans un amphithéâtre de l'UQTR.
Martin Petit a défendu son point de vue avec brio et élégance, une main dans la poche, le sourire goguenard et complice. Un vrai pro.
Quant à moi, ce fût plus... laborieux.
Je suis arrivé comme si j'étais Léon Trotski s'adressant au Soviet de Petrograd...
-Tant va la cruche à l'université qu'à la fin elle se case! que je me souviens d'avoir dit tandis que deux ou trois de mes chums de brosse se cognaient le front en se disant que Bouchard était vraiment un gros cave mais qu'il pouvait à tout le moins payer la tournée..
J'ai sans doute ajouté qu'il y a plein d'analphabètes diplômés, que mes profs sont des sans-dessein, que les plus licheux de cul réussissent, que les pauvres sont sous-représentés à l'université eu égard à leur poids démographique dans la société, que la fin du monde est proche, que la révolution balaiera ce vieux monde pourri, etc.
Évidemment, j'ai perdu. Mon orgueil en fût même étonné. Et comme d'habitude, je me suis saoulé la gueule comme si je venais de donner le énième show punk-rock de ma petite vie sale.
Alors que j'écris ces lignes, je constate que j'ai abandonné l'école en cours de maîtrise.
Je n'ai jamais terminé mes études en droit à l'Université Laval.
J'ai obtenu un baccalauréat en philosophie à l'UQTR en passant le plus clair de mon temps à lire des classiques de la littérature universelle tandis que les profs m'emmerdaient en classe avec leur résumé du livre que je pouvais lire en une heure avec ma technique éprouvée de lecture rapide. Mon professeur fût La bibliothèque idéale. Je me suis dit que lire les meilleurs livres de cette sélection devrait parfaire mon éducation.
Malheureusement, on ne donne pas de diplôme de lecteur idéal.
Et je ne me voyais pas vivre avec un maigre salaire de 150$ par semaine à donner trois heures de cours de philosophie par semaine, comme mes collègues plus patients.
Je suis donc redevenu un bum.
Je suis parti sur le pouce vers Vancouver, puis le Yukon.
J'ai fait n'importe quoi pour survivre. Planter des clous. Scier des planches. Fait de la pizza. Jouer de l'harmonica dans la rue. Torcher n'importe quoi.
Et, depuis ce temps, je me débrouille.
Pas mieux ni pire que n'importe qui.
Tant et si bien que je me demande pourquoi je vous raconte ça.
Le moi est détestable.
Heureusement qu'il n'y a pas que moi.
Heureusement qu'il y a vous.
La prochaine fois, je ne parlerai que de vous, promis juré craché.
Rien que de vous.
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