C'est normal qu'il pleuve au printemps. C'est normal qu'il pleuve n'importe quand. Surtout au printemps. Et puis on s'en fout qu'il pleuve. Surtout quand il ne pleut pas.
Le ciel était ensoleillé voyez-vous.
La cime des arbres commençait à peine à bourgeonner. Aucun pissenlit n'était encore en floraison. On en était à quelques heures d'une formidable explosion de couleurs dans le paysage urbain, comme dans tous les autres paysages tout autour. Bref, il était temps.
Bernard alias Bernie s'en allait au travail. On le voyait du lundi au vendredi, tôt le matin, empruntant toujours le même chemin ou presque. Un chemin sans attraits particuliers: de vieilles bicoques retapées n'importe comment sans règles d'aménagement urbain. Certains taudis étaient colmatés par toutes sortes de revêtements disparates en aluminium, en vinyle, en papier goudronné et même en crépis. Une atmosphère de brocante ou de vente de feu qui donne tout de même tout son charme aux quartiers pauvres de Trois-Rivières.
Les maisons, mêmes vieilles, même toutes croches, ont plus de vécu que les cages à poules bétonnées du deuxième coteau, dans la Haute-Ville. C'est laid. Tout autant que Bernie l'est, laid. Il est laid. Oui il l'est. Comme les maisons.
Tout croche qu'il est Bernie, de pied en cap. Et il ne se verrait pas habiter dans un quartier trop droit. Il est bien parmi tout ce qui est croche, comme l'auteur de ces lignes par ailleurs.
Cela dit, j'en oublie le sujet principal.
Bernie marchait avec son sac à lunch. Toujours le même, sans sangle, un truc qu'il tient toujours par les poignées.
Il faisait beau.
Et ça lui faisait du bien.
Jusque là, on se comprend.
Mais la suite, hein? J'y viens.
Bernie marchait tout le long de la rue Royale, comme d'habitude.
Et, contrairement à son habitude, il s'est arrêté à la hauteur du Parc Victoria, située juste en face de la Taverne Royale.
Un drôle d'oiseau faisait entendre son chant. Et Bernie s'était arrêté sous l'arbre étendant son cou tout croche pour mieux voir le volatile.
J'étais encore loin. Et je me demandais bien pourquoi Bernie était là, sous cet arbre, immobile, avec sa boîte à lunch pendant au bout de sa main droite.
J'ai bien vu qu'il regardait un oiseau. J'entendais bien cet oiseau. Mais je ne le voyais pas.
Alors, j'ai fait comme Bernie: j'ai regardé.
Et j'ai regardé longtemps.
J'entendais bien l'oiseau mais pas moyen de le voir.
Lorsque j'eus fini de me casser le cou à chercher le p'tit pitte-pitte qui faisait cuicui, eh bien j'ai repris ma route.
Bernie n'était plus là.
Il s'était volatilisé.
Peut-être s'était-il arrêté au dépanneur le Marché Royal. Je ne sais trop.
Quoi qu'il en soit, j'ai continué mon chemin avec ma boîte à lunch, comme Bernie.
Puis, pendant un moment, j'ai tout oublié, dont le travail, et même la pollution ambiante, la laideur du centre-ville, l'indignité de certains politiciens, l'immoralité des banquiers...
J'étais ailleurs.
J'étais dans le printemps.
J'imagine que c'était pareil pour Bernie mais je ne suis pas dans sa tête pour parler à sa place.
Donc, j'aurais dû parler de moi au lieu de Bernie.
Mais bon, il faut bien s'effacer un peu de temps à autres pour laisser rêver autrui.
À bon marcheur, talus! Je veux dire salut.
Comme dans hasta la proxima.
Ou arrivederci.
Zdravo.
Kwey.
See you later alligator.
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