Caspar David Friedrich Voyageur au-dessus d'une mer de nuages |
À l'école, alors que tout allait trop lentement pour satisfaire mon insatiable curiosité, je passais des heures à regarder les feuilles des arbres, les nuages, les oiseaux et tous ces éléments de la nature qui pouvaient m'arracher à la monotonie d'un cours magistral.
Je savais très bien ce qui se passait autour de moi. Quand le professeur sollicitait mon attention, pour m'extirper de mes rêveries, je me faisais un malin plaisir de lui répéter tout ce qu'il venait de nous dire en classe. Il croyait que j'étais mentalement absent. D'avoir passé ce test d'attention me conférait le droit de le caricaturer dans des positions plus ou moins scabreuses pour me venger de son atteinte à mon tempérament contemplatif.
Après l'école vinrent le travail et, pire encore, les premières amours. J'étais encore dans la lune aussi souvent que nécessaire.
Je me souviens d'avoir écrit une lettre de démission à un employeur mesquin en lui signifiant que j'allais m'ennuyer de mon vieux copain, l'arbre, que j'avais regardé tous les jours pendant deux ans.
J'occupais alors un poste de responsabilité dans le domaine des communications. Je m'étais rebellé contre le dirigeant de ce groupe communautaire qui faisait travailler ses employés sur la promotion de sa candidature politique pour un parti qui se targuait d'être progressiste. Notre mission était de soutenir les arts. Nous étions payés par les contribuables de toutes allégeances politiques. Cela me puait au nez de voir que l'on pouvait manipuler ainsi toute une organisation. Du coup, je passais pour un fouteur de merde...
Oui, j'allais m'ennuyer de mon vieux copain l'arbre...
Mes premières amours furent tumultueuses. Je n'y connaissais rien. J'en subissais les conséquences. Et pour m'extirper de mes malheureuses associations, je m'accoquinais avec d'autres arbres et d'autres nuages. Je répondais aux menaces, aux disputes et autres trahisons en décrochant de la réalité. Tout se terminait parmi les arbres et les nuages. Quitte à aller les chercher jusqu'au diable vauvert.
Aux funérailles de mon père, ce fût pareil. Je ne me souviens plus des conneries que le prêtre a dit lors du service funèbre. Je me souviens seulement d'avoir été ailleurs, dans la lune, à observer les peintures qui ornaient l'église et les murs qui craquelaient.
Le temps passe et je suis toujours tout aussi étranger à ce monde sans pour autant être indifférent.
Les rapports humains continuent d'avoir quelque chose de théâtral, pour ne pas dire qu'ils sont protocolaires, arbitraires et hiérarchiques.
Je ne cherche même pas à les changer. Je sais, en mon for intérieur, qu'il en sera toujours ainsi. Et je sais aussi que j'aurai toujours mes vieux copains les arbres, les oiseaux et les nuages pour me soigner de tout ce qui pèse sur mon esprit.
Je n'en suis ni ravi ni peiné.
On ne change pas une vieille recette qui a toujours bien réussi.
La mienne, c'est d'être dans les nuages.
Hier, j'ai passé à travers un autre moment chargé en émotions en m'abandonnant à la contemplation chaque fois que cela devenait trop lourd.
J'ai observé une fourmi qui s'activait sur un brin d'herbe.
Puis mon attention se porta sur le vol d'un corbeau.
Les nuages se faisaient et se défaisaient dans un ciel qui virait à la pluie.
Les feuilles bougeaient à peine sous un vent fatigué.
C'était, à vrai dire, un état de grâce.
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