Johnny Lefebvre et Marie Lemire, les grands-parents maternels de ma mère, étaient des cultivateurs de Sainte-Clothide-de-Horton. Johnny descendait d'un certain Pierre Lefebvre, un soldat qui devint juge de paix et seigneur de Baie-du-Febvre. Comme quoi il y avait une petite goutte de sang aristocratique dans ma famille.
Ma grand-mère Valéda Lefebvre et mon grand-père Rodolphe René durent obtenir une dispense de l'église pour se marier. La mère de Marie Lemire s'appelait Anasthasie René. Et la mère de Johnny Lefebre s'appelait Émilie René, Il y avait trop de René dans l'arbre généalogique...
Les parents de mon grand-père Rodolphe René étaient des cultivateurs de Saint-Léonard-d'Aston. Ils s'appelaient Hermann René et Marie Proulx. Ils étaient aussi cousins de la fesse gauche comme on dit par chez-nous.
Les familles René et Lefebvre étaient liées aux déportés de l'Acadie qui vinrent s'installer dans la région de Nicolet après 1755.
Valéda Lefebvre et Rodolphe René se sont mariés le 27 octobre 1925 à Saint-Léonard-d'Aston.
Quatre ans plus tard, c'était la Crise économique de 1929.
Comme j'en suis à trier des papiers suite au décès de ma mère il me manque encore quelques détails. J'ai cru comprendre que Valéda eut deux enfants qui sont morts en bas âge, un garçon qui s'appelait Lionel et une fille prénommée Lise. L'aînée de la famille, Rose-Hélène, est née en 1933. Ma mère est née en 1936. Mes oncles Fernand et Rémi vinrent ensuite.
J'imagine que mes grands-parents ont dû quitter la campagne pour la ville qui offrait plus d'opportunités pour les jeunes mariés. Ils s'établirent donc à Trois-Rivières autour des années '30 dans la paroisse Saint-François-d'Assise, à quelques pas de l'usine de textile Wabasso.
Mon grand-père dût tout de même s'exiler dans les bois pour faire vivre sa famille. Ma mère me racontait qu'il passait des mois de misère sur les chantiers au nord de La Tuque et en revenait crasseux et bourré de poux. On y traitait les travailleurs comme des animaux.
Puis Rodolphe quitta les chantiers pour une job de journalier à temps plein à la Wabasso Cotton Textile Company. Jusqu'à ce que survienne un accident malheureux. Un de mes oncles tira une balle dans la jambe de mon grand-père en croyant que le fusil n'était pas chargé. Mon grand-père devint infirme. C'était à une époque où les travailleurs n'étaient pas protégés.
Comme il connaissait les chevaux, il eut la chance de devenir le palefrenier du propriétaire de la compagnie, un certain monsieur Whitehead qui préféraient les chevaux aux humains.
Ma mère disait de son père qu'il savait dessiner de beau chevaux pour sous-entendre que mes talents d'illustrateur provenaient peut-être de Rodolphe.
Cependant, mon grand-père était analphabète. Je ne sais pas jusqu'à quel point. Quant à Valéda, elle n'était pas loin du statut d'illettrée.
Ma mère était dyslexique. Elle lisait beaucoup dans les dernières années de sa vie. Elle lisait en remuant les lèvres pour déjouer sa dyslexie. Elle croyait qu'elle n'était pas intelligente compte tenu de ses problèmes à l'école. Elle avait pourtant la mémoire des noms et des événements. De même qu'un imposant bagage de tradition orale.
Je n'ai pas connu mon grand-père Rodolphe qui est décédé d'un infarctus en 1967, un an avant ma naissance. Et ma grand-mère Valéda me fût tout autant inconnue puisqu'elle a semblé ne jamais s'être remis du décès de son mari. Mon souvenir d'elle est celui d'une pauvre vieille qui se berce dans son salon, les rideaux baissés, en écoutant la radio. Je ne me souviens pas de l'avoir vue sourire une seule fois, contrairement à ma mère qui était plutôt souriante et pétrie de petits péchés mignons, dont le sucre. surtout le sucre...
Ma grand-mère Valéda est décédée autour de 1986 ou 1987 si ma mémoire est bonne. Elle est morte de vieillesse au Foyer Joseph-Denys de Trois-Rivières où j'ai moi-même été préposé aux bénéficiaires par la suite, de même que ma mère avant qu'une maladie ne l'oblige à quitter ses fonctions autour de 1983.
***
Ma mère avait un tempérament rêveur que les circonstances de la vie l'obligèrent à refouler.
Elle aimait coudre, tricoter, cuisiner et chanter. C'est d'elle que je tiens tous mes talents.
Il lui fallut aussi soigner, compter, économiser et élever quatre garçons. C'est-à-dire piler sur sa vraie nature.
Elle abandonna l'école en sixième année pour travailler dans une usine de croustilles de la paroisse Sainte-Cécile. Je crois que ça s'appelait Maple Leaf Chips mais n'en suis pas certain. Elle m'a raconté qu'elle pouvait rapporter de gros sacs de miettes de chips à la maison après le travail.
J'imagine qu'elle fût aussi gardienne d'enfants, comme tant d'autres jeunes filles d'hier et d'aujourd'hui. On la payait probablement en chocolats et en eaux gazeuses.
Un peu plus tard, elle mentit sur son âge pour travailler à la Wabasso Cotton Textile Company de Trois-Rivières. Elle y devint couturière. Ses talents étaient appréciés. Elle était rapide et payée à la pièce. Elle gagnait deux fois le salaire de son père. C'est-à-dire deux fois rien.
Elle rencontra mon père, Conrad Bouchard, autour de 1956 ou 1957. Je crois qu'il travaillait à Montréal à cette époque et descendait à Trois-Rivières pour voir sa mère et le reste de sa famille.
Ils se sont rencontrés pendant une soirée où un type chantait des reprises des Platters ou bien de Maurice Chevalier. Mon père était un peu pompette et dut probablement inviter ma mère à danser. Jeannine dut l'éconduire.
-Chu p't'être pas joli mais chu poli! lui aurait répondu mon père pour une raison qui m'échappe.
Il faut dire que je ressemble à mon père et que je me trouve tout aussi poli que joli...
Quoi qu'il en soit, ils se sont revus.
Ma mère était une grande femme de cinq pieds onze pouces et trois quarts... Elle faisait tout pour ne pas dire six pieds. Ce qui était aussi rare pour sa génération que ça ne l'est de nos jours. Mon père mesurait cinq pieds onze pouces, mais paraissait tout de même un pouce plus petit que ma mère. La grandeur physique a probablement joué un rôle dans l'attrait qu'ils développèrent l'un pour l'autre. Je n'aurais pas imaginé ma mère avec un avorton...
Ils se fréquentèrent de plus en plus souvent. Mon père prenait le train aussi souvent qu'il le pouvait pour venir voir sa grande fiancée.
Ma grand-mère Valéda n'était pas chaude à l'idée de voir sa fille marier un Bouchard. Pour elle, les Bouchard étaient des saoulons, des viveurs et des batteurs de femmes. Elle se trompa sur mon père qui, paradoxalement, prit soin de sa belle-mère jusqu'à sa mort. Il se révéla un époux tendre et doux, sobre comme de l'eau et aimant tant pour sa femme que pour ses enfants. C'est vrai qu'il prit probablement exemple de Rodolphe René, son beau-père et mentor par la force des choses.
Jeannine et Conrad se marièrent en juillet 1958. On les voit terrifiés sur leurs photos de mariage. Comme s'ils se demandaient comment ça se passerait au lit. Jusqu'à preuve du contraire, ils étaient vierges, pour ne pas dire puceaux.
Les noces eurent lieu à la salle communautaire des employés de la Wabasso. Leur voyage de noces se fit au Motel Villa d'Autray de Lanoraie.
Ils s'installèrent ensuite à Lachine puisque mon père travaillait pour la Dominion Bridges. Un an plus tard, ma mère enfantait de son premier garçon, un gros bébé de plus de dix livres: Christian.
Je crois que c'est à ce moment qu'ils revinrent à Trois-Rivières. Ma mère était terrorisée par Montréal et ses environs. Elle s'y ennuyait sans doute à mourir. Elle revint donc s'installer au 856 de la rue Cloutier, au rez-de-chaussée de l'immeuble où habitaient mes grands-parents Rodolphe et Valéda. Ils y demeurèrent jusqu'au milieu des années '80.
C'est là que j'ai passé mon enfance, entouré des familles Massicotte, Pépin, Charette, Beaumier, Tremblay, Bélanger, Dionne, Poirier, Marchand et j'en passe.
C'était un logement froid et humide chauffé à l'huile. Ma mère lavait fréquemment les murs à l'eau de javel pour faire décoller la moisissure. Les planchers étaient croches. La cave était en terre battue. On y trouvait parfois des rats et des souris...
Mon père devint opérateur de chariot-roulant à la Reynolds Aluminium Company de Cap-de-la-Madeleine. Ma mère comptait les sous pour boucler le budget mensuel. Il ne restait parfois que cinq cents une fois que tout était payé. C'était la misère et la pauvreté. Comme tout le monde. Fourrés par Household Finance et tous les autres capitalistes qui ont tout sauf de la mauvaise conscience.
Un autre enfant s'ajouta en 1962: mon frère Serge.
Ma mère faisait des travaux de couture à la maison pour joindre les deux bouts. Des tas de linge s'accumulaient devant sa machine à coudre Singer. Elle cousait à la pièce pour un salaire plus que ridicule. Je pense qu'elle travailla aussi pour Régent Shirt (dont la graphie m'échappe) et fit aussi du ménage pour des bourgeois.
Pour éviter de "repartir en famille", ma mère suivit la méthode Ogino, une méthode de contraception autorisée par le pape Pie-XII en 1951. Je suis la preuve vivante que cette méthode ne fonctionne pas.
Je suis donc né en mars 1968, pendant la grève des employés de la Reynolds. Ce qui fera dire à mon père que j'étais né révolutionnaire. Ce que je ne démens pas même aujourd'hui.
Un an et trois mois plus tard, mon frère Mario venait au monde.
Le curé rappela à ma mère qu'elle ne pouvait pas empêcher la famille.
Ma mère lui fit savoir que ce n'est pas lui qui allait élever les enfants.
Et mon père passa à la vasectomie...
Ma mère eut donc quatre garçons sous les bras.
Comme mon père était souvent en grève, parce que l'aluminerie Reynolds offrait les plus mauvais salaires de toute l'industrie en Amérique du Nord, ma mère revint progressivement au travail. Elle torcha d'abord des femmes de médecin, puis des femmes d'avocat et d'autres bourgeois. C'est en torchant pour des résidents du Foyer Joseph-Denys qu'elle réussit à décrocher un emploi de préposé aux bénéficiaires. Ce fût le meilleur emploi de sa vie. Mon père recommença à travailler et l'argent se mit à rentrer comme ce n'était jamais arrivé. Les parents achetèrent de nouveaux électroménagers. de nouveaux meubles, de beaux vêtements. Il y eut moins de restrictions. Ils se mirent même à voyager.
Moi et mon frère Mario grandirent dans une relative opulence comparativement aux deux premiers enfants de notre famille.
Cependant, la maladie guettait, dont le diabète. Ma mère fit une thrombose puis une dépression. Elle en menait trop large. Elle subit même une hystérectomie. Elle dut cesser de travailler autour de 1983 ou 1984. Elle continua néanmoins à effectuer de petits travaux de couture pour des particuliers. Ce qu'elle fit jusqu'à soixante-dix ans si je ne m'abuse.
Mes parents déménagèrent au milieu des années '80. Ils passèrent du 856 Cloutier au 843 Cloutier... Je ris rien que de penser au camion de déménagement...
C'était plus propre, plus droit et plus moderne au 843.
Mon père et ma mère y vécurent encore quelques années, voisins immédiats de leurs fidèles amis Irenée Pépin et Madeleine Girard. Je les revois encore se bercer sur la galerie le soir en se racontant toutes sortes de trucs. J'imagine mon père en train de parler de politique, Monsieur Pépin qui parle de la Seconde guerre et leurs deux épouses qui s'échangent des recettes de gâteau Reine Élisabeth...
Mon père prit sa retraite en 1994. Il avait soixante-et-un ans. Une clause du contrat de retraite de la Reynolds spécifiait qu'il pouvait prendre sa pleine retraite mais que la veuve n'obtiendrait rien s'il mourrait avant soixante-cinq ans. Il lui semblait impossible de mourir aussi jeune. Et je me demande même s'il a lu cette clause.
Quoi qu'il en soit, mon père mourut l'année suivante d'un cancer colorectal.
Ma mère se ramassa avec sweet nothing.
Le salon funéraire eut la bonté de gober toute la police d'assurances de mon père.
Puis la mère continua de compter ses vingt-cinq cents, comme elle l'avait toujours fait.
La suite des choses importe peu maintenant.
Elle a fini ses jours au Coin St-Paul, une résidence pour personnes âgées autonomes située à Trois-Rivières.
Elle aura fait quelques infarctus. Elle aura été traitée deux fois pour un cancer des parties intimes.
Elle faillit mourir en mars de cette année mais revint miraculeusement à la vie.
Je suis en paix avec l'idée de sa mort puisque j'allais la voir souvent et ne manquais jamais de lui dire que je l'aimais.
Elle ne voulait pas mourir dans un foyer, comme elle le disait. Elle avait été préposée aux bénéficiaires et avait une bonne connaissance des misères qui peuvent nous attendre en fin de vie.
Ses voeux ont été exaucés.
Elle est morte subitement d'un infarctus lundi le 29 août à 7:25 du matin.
Je garde d'elle son sourire. Son sourire qui m'accompagnera jusqu'à la fin de mes jours. Le dernier sourire qu'elle me fit vendredi le 26 août lorsque je suis allé la voir. Un sourire accompagné d'une caresse sur la main...
Tellement beau Gaetan a lire et je me rappelle tellement mes parents et les tiens sur la galerie avant en train de se bercer et de parler entre eux, quel beau souvenir xxx
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