J'ai rencontré René Lévesque en 1984. C'était lors d'une visite à l'Assemblée Nationale. Flèche, notre professeur d'histoire, avait emmené un groupe d'étudiants de ma polyvalente à Québec. J'en faisais partie. Flèche nous servait de guide touristique. Il devait son surnom au fait qu'il était hémiplégique. Méchants comme nous l'étions, on laissait entendre que le prof d'histoire avait reçu une flèche dans le bras en combattant les Iroquois avec Dollard des Ormeaux. Quoi qu'il en soit, c'était un bon prof. D'autant plus bon qu'il payait de son temps pour éduquer des morveux qui l'appelaient Flèche.
Flèche avait la même coupe de cheveux que René Lévesque. Il rabattait ses rares cheveux sur son crâne dégarni. C'était une manière bien insolite de dissimuler sa calvitie. D'où le surnom de Ti-Poil qui était presque étampé dans le front du Premier Ministre du Québec de l'époque.
Yvon Picotte, député libéral et whip de l'opposition officielle, nous avait accueilli à l'Assemblée Nationale. On lui avait accolé un surnom lui aussi: la maladie de la Mauricie. Parce qu'il s'appelait Picotte et qu'il était le seul élu libéral de la région.
Après qu'il nous eut expliqué le fonctionnement du parlement, nous nous étions déplacés dans les coulisses de ce grand théâtre qu'est l'Assemblée Nationale pour rencontrer Ti-Poil.
Cela brassait au parlement en 1984. Parizeau avait démissionné. Lévesque parlait d'une alliance avec les Progressistes-Conservateurs de Brian Mulroney. Un beau risque qui faisait en sorte que tout foutait le camp pour le Parti Québécois. La social-démocratie avait été troquée pour l'autonomisme provincial. C'était la crise économique. Rien n'allait plus.
C'est dans ce contexte que nous rencontrâmes René Lévesque.
À l'époque, il n'était pas encore interdit de fumer dans les lieux publics et notre Premier Ministre ne se gênait pas pour en griller une par-dessus l'autre.
-Vous savez, kof, kof... nous avait-il dit en toussotant sa boucane. Vous savez, kof, kof, c'est un peu broche à foin le parlement...
Ce n'est pas ce que nous voulions savoir.
-Auriez-vous, kof, kof... Auriez-vous des questions? nous demanda-t-il.
L'un de mes amis, surnommé Frank Bill Bull, lui posa la seule question qui nous tracassait tous l'esprit.
-Heu... Pourquoi fumez-vous autant?
René Lévesque était resté un moment interloqué. Puis il avait baratiné une réponse dont je ne me souviens guère. Pourtant, jamais je n'allais oublier cette seule et unique question que nous avions osé lui poser lors de notre visite au parlement avec Flèche, notre prof d'histoire.
Les années passèrent. René Lévesque quitta la politique et se remit au journalisme avec plus ou moins d'entrain j'imagine. Pierre-Marc Johnson lui succéda avec un programme plutôt fade et peu enlevant. Gérald Godin mena une cabale contre Johnson puis ce fût le retour de Jacques Parizeau avec un programme nettement plus indépendantiste.
René Lévesque décéda en 1987. Il n'était même plus la belle-mère du Parti Québécois. On l'avait enterré bien avant qu'il ne meure, comme c'était arrivé à un certain Lénine. L'annonce de sa mort secoua le Québec. Tout le monde ressentit un choc de perdre son Ti-Poil. Ti-Poil, ce bonhomme de New-Carlisle un peu bourru qui avait refusé le nationalisme victimaire dans son jeune âge pour se joindre à l'Armée américaine à titre de correspondant de guerre. À l'époque où Trudeau vantait Salazar, Franco ou Mussolini, Lévesque était au front à combattre le fascisme à sa façon. Tout le contraire d'un Bleu. Oui, Lévesque était un Rouge.
Il n'aura jamais été un nationaliste primaire. Lévesque se sera toujours méfié des tribuns comme Pierre Bourgault et autres ultranationalistes. Ce n'est pas lui qui s'échauffait devant un public. Et je dirais même que ça lui puait au nez de jouer au porte-voix.
On lui doit la nationalisation de l'électricité et l'affirmation tant nationale que sociale des Québécois.
Je ne suis pas du genre à bander devant une statue. Surtout devant une statue représentant un homme politique.
Pourtant, celle de René Lévesque, alias Ti-Poil, a quelque chose de sympathique.
Cette statue, que l'on a pu voir à hauteur d'homme devant l'Assemblée Nationale du Québec. Elle n'était pas posée sur un socle de vingt pieds de hauteur. Aucune plaque, aucun poème patriotique ne l'accompagnaient.
C'était bien notre Ti-Poil. Celui que nous aimions. Celui qui ne se prêtait pas au culte de la personnalité. Celui qui parlait pour nous tous en toussotant, cigarette au bec. Dommage qu'on l'ait mise sur un piédestal par la suite...
Peu de politiciens auront marqué autant leur époque et leur peuple.
Peu de politiciens lui arrivent à la cheville lui qui, pourtant, était plutôt petit.
Je suis donc reconnaissant envers Flèche de m'avoir permis de le rencontrer, ne fût-ce que le temps de griller une cigarette...
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