mercredi 28 septembre 2016

Le surhomme, le monstre et la politique

"La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement et (...) l'homme est par nature un animal politique. et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité."
Aristote, Politique I, 2 (traduction Jean Tricot)

Aristote disait de l'homme qu'il est un animal politique. 

Selon ce philosophe, celui qui vit en-dehors du groupe est soit un monstre, soit un surhomme. 

On trouve bien sûr des monstres parmi les hommes. Tous ceux qui méprisent l'humanité en font partie. Encore qu'ils ne peuvent s'empêcher d'adhérer à une communauté, aussi restreinte soit-elle, pour mettre en pratique leurs monstruosités.

Pour ce qui est de la définition de surhomme, je n'ai rien trouvé de mieux dans mes souvenirs qu'un certain Ernie Moses, un trappeur Eeyou (Cri) de la Baie-James qui, à soixante-dix ans bien sonnés, s'enfonçait dans la forêt six mois par année pour y vivre seul dans la digne tradition de ses ancêtres. Néanmoins, l'homme communiquait tout de même avec ses camarades depuis sa cabane de bois perdue dans l'immensité. Un radio-émetteur le rattachait à sa communauté.

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Jack London fut le premier auteur de ma jeunesse. J'eus tôt fait de dévorer tous ses livres. Il y avait en lui quelque chose qui tenait du surhomme et de l'animal politique. Jack London représentait une forme de triomphe de la volonté pour cet enfant d'un quartier pauvre que j'étais. En trimant dur, comme il l'avait fait, rien ne me serait impossible. Jack London vantait ce surhomme nietzschéen qui venait à bout de tout, qui se faisait un jour pilleur d'huîtres et le lendemain chercheur d'or au Klondike. N'était-il pas devenu l'écrivain le plus lu et le plus riche de son temps, lui qui était parti de rien? 

J'ai cru à tort que rien ne viendrait entraver ma volonté puisque l'orgueil et l'innocence de ma jeunesse m'ont fait croire que je pouvais jouer le rôle du plus fort. J'étais grand et gros avec une tête bien construite. Qu'est-ce qui viendrait à bout de moi?

Puis je suis tombé moi aussi, comme bien d'autres. parce que notre système politique et économique fait aussi en sorte que même ceux qui se croient les plus forts puissent sombrer dans ce que London appelait le "peuple de l'abîme".

Jack London lui-même fut frappé par la crise économique de 1893. Lui qui avait toujours cru s'en tirer par l'affirmation de sa volonté individuelle se retrouva sans emploi et sans le sou. Il se joignit à l'armée de Kelly, une troupe formée de cent milles chômeurs qui marchèrent sur Washington pour réclamer des investissements dans les travaux publics. C'est alors qu'il devint socialiste et acquit la conviction que le capitalisme est injuste, inique et, disons-le, chaotique. Jack London comprit que seul il n'arriverait à rien. Il sut désormais que la lutte était politique, que même les meilleurs peuvent être broyés par le capitalisme.

***

Qu'on le veuille ou pas, l'homme est un animal grégaire qui n'est rien sans le soutien de la communauté. Tous ceux qui cherchent à la détruire se placent nécessairement en marge de la cité et accèdent au statut de monstres puisqu'il n'y a pas de surhommes, seulement des hommes et des femmes qui ne méritent pas de souffrir pour satisfaire les folles ambitions d'une poignée de scélérats.

La communauté, c'est nous tous et nous toutes, ici et maintenant.

La politique se fait tous les jours, dans tous les milieux, et pas seulement au parlement.

Faire signer une pétition et porter une pancarte font aussi partie de l'univers politique.

La démocratie n'est pas ce jeu stupide où des êtres fats se croient accorder un chèque en blanc pour quatre ans. Elle ne réside pas dans le silence et la résignation des masses, mais dans l'expression de tout un chacun face à tout le monde.

Nous ne sommes pas seuls sur ce globe.

Nous ne luttons pas que pour notre maison, notre chalet, notre automobile et notre piscine...

Comme nous ne sommes ni des monstres ni des surhommes, nous luttons avec nos frères et soeurs humains pour une vie meilleure.

Cela semble un mythe pour certains.

Pourtant, tout nous renvoie vers ce mythe: la culture, la religion et même la politique.

L'homme est un animal politique.

On n'a pas besoin d'Aristote pour savoir ça.

Mais ça part bien une conversation... N'est-ce pas?



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