Manon Grenon est franchement laide pour ceux qui ne la connaissent pas. Et même ceux qui la connaissent ne seraient pas du genre à dire qu'elle est jolie. C'est pourtant une femme déterminée, même si son apparence ne se fait pas naturellement désirée.
Physiquement, elle a l'air de rien. Un air que l'on retrouve un peu partout dans les rues des quartiers populaires. Un air aux relents de tabac, de misère et d'exclusion sociale.
Elle louche. Strabisme divergeant selon son opticien. Elle a la peau grasse et le cheveu rare.
Bref, elle a l'air de rien.
Pourtant, c'est dans cet air de rien que s'est reconnu tout un peuple, aussi détonnant que cela puisse paraître.
Tout a commencé l'an dernier.
Manon Grenon, concierge de profession, en avait plein de cul de voir son pays se faire voler par des banquiers, des médecins, des avocats et autres politiciens de métier. Elle a fini par se dire en son for intérieur, fort naïvement, qu'il fallait faire quelque chose contre les crapules au pouvoir.
Elle a donc organisé une manifestation en créant une page Facebook qui disait, grosso modo, qu'il fallait devenir maîtres chez-nous en se débarrassant de tous ceux qui nous volent au parlement.
Elle s'était prise en portrait, debout, en brandissant un balai. Puis elle avait rédigé une légende qui en disait long sous cette photo: "On va faire le ménage gang de crosseurs!"
Ce programme d'une extrême naïveté attira des milliers de personnes pour une raison qui échappa à tous, dont aux commentateurs des médias dits traditionnels.
Sa manifestation devint l'une des plus grosses manifestations de la province sans que l'on ne sache vraiment pourquoi.
Les médias sociaux s'enflammèrent pour Manon Grenon, cette torcheuse pas embarrassée du tout par la langue de bois.
Elle parlait crûment, sans flaflas, sans explications superflues. C'est comme si tout le monde la comprenait. Comme si tout le monde se reconnaissait en cette laideronne mal dégrossie puisque tout le monde était devenu laid à force d'austérité, de chômage et de désespoir.
Manon Grenon fût donc propulsée sous les feux de la rampe. Ce qui ne semblait qu'une farce au début devint parfaitement sérieux. Manon Grenon faisait la manchette et nourrissait la controverse en sacrant comme une pauvresse des bas-fonds de la société.
-On va t'les crisser dehors toutte la gang sacrament! Gang d'hosties d'pourris sales! Gang de licheux d'culs de banquiers pleins d'marde qui s'crissent du monde! On va l'avouère notre tabarnak de pays pis c'est l'peuple qui va décider ciboire!!!
On l'acclamait partout.
Les notables tentèrent bien de s'en moquer. Mais plus on riait de Manon Grenon, plus le peuple se ralliait à sa cause. Tant et si bien qu'elle forma un parti, Dehors les pourris!, dont le programme se résumait à quelques points: l'indépendance, l'éducation gratuite du primaire à l'université, le revenu minimum garanti, le plafonnement des gros salaires, la nationalisation des banques et des ressources naturelles, la saisie des actifs de ceux qui ont recours aux paradis fiscaux, etc.
Elle surprit non seulement les citoyens de sa province, mais aussi le monde entier lorsque l'on fit l'annonce officielle qu'elle devenait Première Ministre d'un gouvernement largement majoritaire.
-J'vous l'avais dit qu'on gagnerait tabarnak! C'est fini l'temps de s'faire gouverner par des hosties d'pourris! déclara-t-elle en conférence de presse, suscitant tout un émoi parmi les notables.
Elle tint promesse d'organiser un référendum en moins de six moins après son élection.
Un référendum avec une question claire: "Souhaitez-vous que la province demeure une province?"
Manon Grenon dirigea évidemment le clan du Non.
Le slogan du clan du Non était fort simple: Votez Non avec Manon Grenon!
Et c'est ainsi que le Québec est depuis un pays indépendant.
Un pays comme l'Islande ou la Norvège.
Un pays qui peut voter des lois contre les banquiers et autres chiens sales.
Un pays où l'éducation est gratuite du primaire à l'université.
Le plus surprenant, c'est que Manon Grenon démissionna un mois après le référendum victorieux pour redevenir simple concierge.
Elle avait le pouvoir.
Elle avait l'attention de tout un chacun.
Elle était devenue présidente de la jeune république.
Mais comme Manon Grenon l'a dit, la politique ce n'est pas un métier.
-J'suis concierge calice! J'ai faitte c'que j'avais à faire... À c't'heure, je r'tourne à ma moppe pis à mes torchons. On a une constitution qui a d'l'allure... On a la démocratie directe, le vote proportionnel pis la nationalisation des banques pis des ressources naturelles... On peut destituer n'importe quel député pourri n'importe quand. J'pense que l'pays va faire un boutte de chemin que j'sois là ou pas là. Moé là, j'suis pas venue en politique pour jouer au messie! Sauvez-vous vous-même tabarnak! Pis occupez-vous d'vos affaires si vous voulez pas qu'les autres s'en occupent à votre place saint-chrême de saint-ciboire de pompier sale!
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