Larry Lagouache n'était pas poète pour deux sous mais il s'était dit, un jour qu'il était saoul, que ça n'avait pas l'air bien compliqué que d'écrire des conneries en simulant des émotions et en se stimulant de jeux de mots dignes d'un malade mental.
Il avait écrit une plaquette en une seule nuit. Une plaquette qu'il avait intitulée Poèmes intéressants.
L'un de ses poèmes, à titre d'exemple, allait comme suit:
Si je trouvais un crayon
Je dessinerais un anus
Tous ces autres poèmes étaient de la même mouture, anus en moins.
Le lendemain de cette session d'écriture nocturne, Larry avait demandé à Sarah de corriger les fautes d'orthographe, plutôt nombreuses, et de faire une mise en forme correspondant au standard des manuscrits soumis à des éditeurs.
-Ne touche pas à la syntaxe! C'est mon style! ajouta-t-il pour lui démontrer qu'il connaissait mieux la poésie que la grammaire.
Il avait essuyé quelques refus avec les maisons d'édition, mais Les éditions Des Gorges avaient accroché à l'hameçon.
Les deux membres du comité de lecture, des profs de Cégep, se souvenaient vaguement d'avoir rencontré Lagouache au cours d'un lancement.
-C'est le gars qui était accoté au bar qui disait aimer les poèmes de André Poirier.
André Poirier, évidemment, était l'un des deux membres du comité de lecture... On lui devait quelques plaquettes de poésie où s'entremêlaient le golf, le mouvement scout et l'indépendance du Québec. C'était insipide et soporifique. Mais qui sommes-nous pour juger de la pertinence des poètes, hein?
Ce qui permit à Larry Lagouache de publier ses poèmes, de remporter quelques prix ici et là, dont celui du Gouverneur général du Canada.
Encouragé par tant d'honneurs, Lagouache se saoula la gueule au moins une nuit par année pour pondre une autre plaquette de poésie dont l'écriture était largement subventionnée par le Conseil des arts et des lettres, sans compter les per diem et les voyages payés pour assister à tous les Salons du livre du monde entier pour y parler de ses Poèmes intéressants et autres facéties de collégien attardé.
Avec le temps, Lagouache devint professeur de littérature au collégial.
Il n'écrivait jamais au tableau de crainte que l'on découvre qu'il était illettré.
Sarah ne pouvait pas le suivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour corriger tout ce qu'il écrivait.
S'il devait signer un autographe, il y allait d'une formule simple:
À Maude,
De Larry Lagouache
C'était short and sweet. Le client n'en demandait pas plus.
Et chaque année, depuis la parution des Poèmes intéressants, Lagouache prodiguait des conseils à tous ces Roméo et Juliette qui voulaient s'assurer qu'ils avaient leur place dans le domaine de la poésie.
-Pour être poète, disait Lagouache, il faut être moins prosaïque... On ne peut pas parler comme tout le monde et se sentir poète. Il y faut de la magie. Du sublime. De l'extraordinaire!
Évidemment, d'aucuns croyaient que Lagouache était une baudruche de poésie, une enflure dénuée de talent qui ne savait que téter des subventions et licher la raie de André Poirier aux Éditions des Gorges.
On ne peut pas dire qu'ils avaient tort.
Mais la poésie, comme la musique, ne vit que de mythes.
Celui de Larry Lagouache, poète maudit parce qu'ivrogne hors norme, avait la peau dure.
Il nous a récité son plus récent poème, hier, lors d'un cinq à sept littéraire au Café-Bar Le Bibob.
Le voici:
Un bouchon de bière
Tombe sur le plancher
Et je dessine un anus
C'était mauvais, mais que voulez-vous?
La poésie québécoise demeurera toujours la chasse-gardée des plus mauvais écrivains qui soient.
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