jeudi 4 février 2016

Léon Bloy, le mendiant ingrat



"Au seul point de vue de l'histoire des Lettres françaises, il n'est pas inutile qu'on sache de quelle manière la génération des vaincus de 1870 a pu traiter un Écrivain fier qui ne voulait pas se prostituer."

Léon Bloy, Le mendiant ingrat

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Cela fait quelques jours que l'envie me prend de vous parler de Léon Bloy, un écrivain catholique enragé comme il s'en est fait trop peu. Léon Bloy est à la littérature ce que Michel Chartrand était pour le syndicalisme. Ces personnalités inclassables ne se prêtent pas facilement aux exégèses. On reconnaît leur talent du bout des lèvres tout en s'efforçant de ne jamais se tenir à proximité de ces monstres. C'est ce qui me rapproche d'eux, pour une raison qui m'échappe tout à fait.

Écrivain catholique! Syndicaliste catholique! Il me semble entendre hurler des tas de lecteurs et lectrices, forts de me faire comprendre que Dieu n'existe pas. C'est d'ailleurs une opinion que je partage chaque fois que je vois le Diable remporter une victoire...

Vous comprendrez, chers apostats et chers excommuniés, que la Foi est la partie de leur oeuvre qui m'intéresse sans doute le moins. Je saute les passages où ils délirent sur l'amour divin pour me concentrer sur leur statut de contempteurs des us et coutumes des bourgeois.

Léon Bloy, pour revenir à notre mouton noir, était reconnu par les anarchistes comme l'un des leurs, en dépit de sa foi et de ses essais théologiques. Le drapeau noir a flotté à ses funérailles. Les anars, comme on les appelle parfois, ont salué l'auteur du Désespéré, de La femme pauvre et de mille autres petits textes pamphlétaires qui empalèrent férocement les riches.

Récemment, je suis tombé sur les Histoires désobligeantes de Léon Bloy, un recueil de nouvelles qui m'a réconcilié une fois de plus avec Bloy, que je finis toujours par délaisser en raison de sa prose un peu trop maniaque. On doit presque lire Bloy avec un dictionnaire sur les genoux, ce qui finit par devenir lassant. Cet enrichissement de mon vocabulaire m'éloigne encore plus de mes contemporains qui ont déjà de la difficulté à me comprendre... Bloy n'écrit pas comme Voltaire, mais sans doute comme Rabelais, dans une langue bourrée de néologismes étonnants qui témoignent d'une certaine manie à manipuler les racines grecques et latines.

Malgré tous ces mots savants que j'appelle impudemment des scories, il reste toujours quelque chose d'étonnamment poignant à lire sous la plume de Bloy.

Dans Le Désespéré, un roman largement autobiographique, l'auteur y raconte la descente aux enfers de son double qu'il surnomme Caïn Marchenoir. Cela se poursuit avec La femme pauvre. La misère rôde autour d'un couple formé d'un écrivain misérable et d'une ancienne prostituée. Tout y passe, jusqu'à vendre ses cheveux et ses dents pour avoir un quignon de pain sur la table... C'est la misère la plus noire qui soit, misère à peine consolée par la prière et les rêves transcendants.

Je crois qu'il est nécessaire de commencer par lire les Histoires désobligeantes de Léon Bloy avant que de fuir l'ensemble de son oeuvre. Ce serait à mon avis une très mauvaise idée de débuter par Le Désespéré et La femme pauvre, voire par l'Exégèse des lieux communs. Ce début serait rebutant...

Avec ces Histoires désobligeantes, on se trouve encore en territoire connu. C'est à l'image d'un Maupassant qui aurait attrapé la rage.

N'attendez rien d'amical et de sympathique de Léon Bloy. C'est un mendiant ingrat. Il prend votre temps, qui est aussi de l'argent, en vous laissant avec un sentiment de vide et de profonde désespérance.


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