mardi 16 février 2016

Le grand cahier de Agota Kristof

Mes professeurs ont bien fait de m'avoir fait lire des oeuvres mineures que je puis encore détester aujourd'hui. Je ne regrette pas d'avoir lu L'aquarium de Jacques Godbout et autres romans plus ou moins soporifiques. Je n'en ai conservé aucun souvenir et cela n'a pas contribué à me faire détester la littérature. Bien au contraire, je me suis mis à lire tout ce qui n'était pas recommandé par mes professeurs pour mieux vomir sur l'école.

En plus de L'aquarium de Jacques Godbout, j'aurai lu La nuit du renard de Mary Higgins Clark, Jusqu'au matin de Han Suyin, Dévadé de Réjean Ducharme et combien d'autres romans à nous faire détester les arts et les lettres...

Il semble que Le grand cahier de Agota Kristof fasse maintenant partie des lectures obligatoires au niveau collégial. Cela risque de nuire à ce livre à moyen terme. Des générations de collégiens vont japper comme des hyènes chaque fois qu'on osera leur parler de Agota Kristof...

-J'ai lu ça au Cégep! C'est de la merde! répéteront-ils à tout venant.

Eh bien, je me permettrai de leur dire que Le grand cahier de Agota Kristof n'est pas L'aquarium de Jacques Godbout...

Je suis récemment tombé sur Le grand cahier. Le titre traînait quelque part dans ma bibliothèque et ne m'inspirait rien de particulier. Je me souvenais vaguement d'avoir entendu parler de cette auteure et de sa trilogie incluant La preuve et Le troisième mensonge que je n'ai pas encore lus.

Le grand cahier est le premier roman de cette trilogie.

C'est l'histoire de jeunes jumeaux qui se font élever par leur grand-mère au cours de la Deuxième guerre mondiale dans un pays qui rappelle la Hongrie. La grand-mère est une vieille sorcière analphabète et méchante qui traite ces petits enfants abandonnés par leur mère de fils de chienne.

Tout est tortueux, torturé et troublant dans Le grand cahier. Les jumeaux s'éduquent par eux-mêmes et agissent avec une absence totale de scrupules, pratiquant une morale purement et simplement utilitaire.

La guerre n'est pas le meilleur climat pour tomber dans la sensiblerie.

Les jumeaux n'y font pas exception et suivent le courant sans y résister.

C'est cru comme dans Les prospérités du vice du Marquis de Sade, justification en moins, ce qui rend le roman d'autant plus lisible et digne d'intérêt.

Évidemment, je ne peux pas vous vendre le punch en vous décrivant chacune des scènes.

Disons simplement que ces jumeaux nous rappellent que la guerre n'est pas une partie de cartes.

Tout ce qui passerait pour immoral en temps normal devient la norme en temps immoraux.

Les jumeaux n'hésitent devant aucune action, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Ils agissent parce qu'ils sont condamnés à l'action quelle que soit la réaction.

On a reproché à certains professeurs de notre vieille France d'avoir fait lire Le grand cahier à des adolescents. C'est que Le grand cahier est un roman pornographique aux yeux de certains.

Le roman est sulfureux. N'ayez aucun doute à ce sujet.

Pourtant, il se dégage quelque chose d'indicible à cette lecture.

J'ai lu Le grand cahier d'une traite et déjà je m'inquiète de ne pas avoir lu les deux autres romans de cette trilogie. Ça ne saurait tarder.

Agota Kristof, une Hongroise naturalisée Suissesse qui écrivait en français, cette "langue ennemie" pour reprendre son expression, est décédée en 2011.

Je ne comprends pas que Le grand cahier ait traîné si longtemps dans ma bibliothèque sans que je ne le lise.

Du coup, je me sens tenu de revirer ma bibliothèque à l'envers pour y trouver d'autres perles de ce genre.

Le grand cahier est un roman percutant.

Je ne regrette pas de l'avoir lu.

Je suis content que mes professeurs n'aient jamais songé à le mettre au programme des lectures obligatoires.

Que l'on ait corrompu les oeuvres de Jacques Godbout et autres Robert Lalonde, cela ne contribuera pas à m'émouvoir. On ne devrait lire obligatoirement que des auteurs inoffensifs et ennuyants afin de ne pas gâter le plaisir de transgresser les institutions avec une lecture peu recommandable.


Aucun commentaire:

Publier un commentaire