J'ai deux critiques dans ma tête qu'il me faut reproduire ici pour me décharger l'esprit. J'aurais pu rédiger deux billets pour ne pas avoir l'air de sauter du coq à l'âne. Pourtant, tout semble se tenir dans ces humbles digressions que je vous propose.
ROMAN AVEC COCAÏNE
On m'avait chaudement recommandé la lecture de Roman avec cocaïne de M. Aguéev, pseudonyme d'un certain Mark Levi. Ce roman a été publié en France au milieu des années trente. On l'a republié en 1983. On a cru, un temps, que l'auteur était Vladimir Nabokov puisqu'on ne trouvait nulle trace de M. Aguéev. Puis on a fini par remonter jusqu'à cet obscur Mark Levi à qui l'on ne doit peut-être qu'un seul roman et deux ou trois nouvelles. Tout ce qu'il fallait pour en faire l'auteur plus ou moins maudit d'un roman-culte par ce fait même.
Je ne dirais pas que j'ai été déçu par ce Roman avec cocaïne. J'y ai retrouvé certains thèmes récurrents de la littérature russe. Il y a un peu de Gogol et de Dostoïevski chez Aguéev. On ressent ce besoin impérieux de tout dire, comme chez les personnages des Âmes mortes, de Nuits Blanches ou bien du Sous-sol. Ce roman écrit à la première personne du singulier témoigne de toutes les bassesses psychiques et physiques de son anti-héros. Il rappelle un peu l'anti-héros de L'Attrape-coeurs de J.D. Salinger. Il s'agit d'un être relativement mesquin qui raconte froidement son monde froid, avec quelques beaux sentiments reniés aussitôt qu'ils se manifestent.
Arthur Rimbaud disait de ses poésies de jeunesse qu'elles étaient des "rinçures". Il avait délaissé l'écriture au profit de son nouveau métier de trafiquant d'armes.
On a dit de M. Aguéev qu'il ne pouvait plus rien écrire suite à ce Roman avec cocaïne parce qu'il y avait tout dit. Si c'est tout ce qu'il avait à dire, on ne peut que plaindre ce pauvre homme.
On pourrait dire la même chose de Rimbaud. Pourtant, Dostoïevski ne s'en est pas tenu qu'aux Nuits blanches, au Joueur ou bien à L'éternel mari. Il est plongé encore plus creux dans son exploration de l'âme humaine pour nous laisser Crime et Châtiment, Les possédés, Les frères Karamazov, L'Idiot et j'en passe. Il est passé de la première personne du singulier à la première personne du pluriel, ce qui lui permit d'écrire une oeuvre transcendante, abondante et universelle.
Roman avec cocaïne, comme Une saison en enfer, est le témoignage cru d'un échec littéraire.
Échec qui rappelle celui des Chants de Maldoror de Lautréamont, lequel se tira d'affaires en devenant Isidore Ducasse.
Je ne veux pas dire que Roman avec cocaïne, Une saison en enfer et les Chants de Maldoror n'ont pas leur place en littérature. Bien au contraire. Je crois simplement que ce sont des rinçures. Elles méritent d'être lues et relues. Néanmoins, elles ne débouchent sur rien. Elles sont comme la guitare enflammée de Jimi Hendrix qui ne peut plus donner le la ni la mélodie. Le talent de Hendrix est toujours là, mais la guitare ne joue plus.
L'art est le miroir de l'époque. On ne peut pas reprocher à ces rinçures de ne pas nous montrer les ravages de l'égotisme ambiant. Force est d'admettre qu'elles ne vont pas plus loin que le néant qu'elles exploitent.
Camus à jouer avec le néant en écrivant L'Étranger. Il aurait pu cesser d'écrire après cela. Il avait pourtant raison d'affirmer que l'absurde est un point de départ plutôt qu'une destination.
LE MIRAGE
Dans un autre ordre d'idées, sans nécessairement quitter le thème précédent, je suis sorti un peu déçu du cinéma après avoir visionné Le Mirage, un film de Ricardo Trogi avec Louis Morissette dans le rôle principal d'un type qui se masturbe tout le temps. En plus de se masturber, le pauvre homme est propriétaire d'un magasin d'articles sportifs et ne sait plus comment joindre les deux bouts pour se payer la vie de rêve à laquelle ils aspirent, lui et son épouse. Une vie de rêve qui vient avec tout le confort que permettent les hypothèques et les cartes de crédit. Il en faut toujours plus, évidemment. Toujours plus pour payer la leçon de piano de leur fille, les gugusses informatiques du fiston, la piscine au sel, le sauna et les seins de silicone.
Tout le long du film, le personnage principal se crosse en s'imaginant des scénarios de cul qui ne sont pas à la mesure de sa vie monotone.
Malheureusement, le film ne lève pas haut. Les séances de masturbation du misérable finissent par faire bayer aux corneilles. On aurait la même impression s'il se décrottait le nez. Le scénario manque de transcendance. Le film manque de prises de vues moins factuelles qui témoignent d'un travail d'artiste. On est loin de l'art achevé d'un Xavier Dolan. Loin du film American Beauty de Sam Mendes qui jouait relativement dans les mêmes eaux.
On ne trouve pas dans Le Mirage une scène aussi marquante que le sac de plastique vide ballotté au vent au début, au milieu et à la fin du film American Beauty. Ce sac de plastique vide ballotté par le vent est plus éloquent que tout pour décrire le vide de nos existences et faire d'un film ordinaire un film exceptionnel.
Le Mirage n'a pas cette qualité. Il est purement factuel, prosaïque et, disons-le, vide.
D'aucuns pourraient en faire un film-culte. Roman avec cocaïne est bien devenu un roman-culte...
Il se trouvera toujours des types un peu paumés pour conférer une grandeur démesurée à des oeuvres plutôt limitées qui ont choisi la vacuité pour point de départ et pour point d'arrivée.
Je vais sûrement me faire scalper pour avoir écrit ça.
Si je ne risquais rien, il ne m'arriverait rien.
AUTEURS À QUI JE PARDONNE L'UTILISATION DU JE
Le je n'est pas toujours vain. Le je de Charles Bukowski est transcendant, malgré ses cuites, son vomi et ses baises banales. Le je de Henry Miller est tout aussi grand et son oeuvre est immense. Le secret de ces oeuvres au je qui sont là pour durer est dans l'humour, le regard sans pitié sur soi-même et une certaine tendresse envers autrui. Le secret, c'est aussi la transcendance, l'ars magna auquel ils font référence, bref l'originalité du propos.
Pour un Bukowski réussi, il y a dix milles imitateurs falots et soporifiques à en mourir.
Pour un Rimbaud réussi, il y a cent millions de collégiens qui veulent faire passer leurs rinçures pour des sensations.
Je ne peux jamais m ' empêcher de répondre à tes textes -
RépondreEffacerC ' est que je les trouve intéressants - En général je suis assez d ' accord avec toi , ou quand je ne le suis pas , j ' aime bien -
Alors je dis 2 ou 3 bricoles , assez simplement , car mon esprit est simple - ou simpliste ? ou naïf ?
Je n ' ai pas lu/vu ces trucs , ni Américan Beauty -
Tu parles du vide et du rien -
Je voulais dire que ces choses ne m ' intéressent guère quand il y en a tant qui le font -
A vrai dire je doute qu ' elles existent - n ' en déplaise à Lao-Tseu -
Le sentiment-de-vide existe , certainement , de désespoir , qui survient quand les choses ne vont pas comme nous le voulons ou que le monde ne nous apporte " rien " -
Moments " à vide " où ça ne va pas - ou nous ne croyons plus savoir ce que nous voulons -
De ces moments naissent le retour au non-vide et à la vie - Quelques belles choses comme certains textes de Rimbaud , que je connais mal mais dont j ' ai trouvé très belles certaines de ses poésie - que je ne ressens pas comme des rinçures , mais comme des commencements de non-vide , de vie -
La vie commence ,pour eux-elles ...
M^me la mort n ' est certainement pas rien -
Même le vide n ' est pas si vide que ça : ce vide que nous avons réussi à obtenir dans une cornue de verre , n ' existe-t-il pas ?
Entre la plé(i)nitude et le vide il y a des univers -
Nous appartenons peut-être un peu aux deux univers -
Peut-être pour l ' instant un peu + aux plénitudes ?
... qui sont loin d ' être parfaites ...
@monde indien: je ne peux pas m'empêcher de te répondre... Les pensées sont fluctuantes comme la vie. Il y en a quelques-unes qui se répètent plus souvent: elles sont le fondement de notre personnalité. Je m'en voudrais d'avoir raison sur tout et sur rien. Je suis un chercheur et ce que je trouve est parfois bien maigre pour faire des spéculations. Se taire n'embarrasse jamais la vérité. Oser prendre la parole c'est prendre le risque de se tromper. En dialoguant comme nous le faisons, on favorise le choc des idées et la remise en question de nos certitudes.
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